Daesh et la multinationale

par Bernard Attali |  publié le 21/09/2024

Le groupe Lafarge a-t-il sciemment financé le terrorisme pour protéger son activité en Syrie ? Écrivaine, Justine Augier tire de cette affaire sensible un récit juste et haletant.

L'usine de ciment de Lafarge à Jalabiya, dans le nord de la Syrie, le 19 février 2018. (Photo de Delil souleiman / AFP)

En 2013 et 2014, le groupe Lafarge a versé des sommes conséquentes aux terroristes de Daesh pour maintenir coûte que coûte l’activité de son usine de Jalabiya en Syrie. Une poignée de jeunes avocates enquêtent là-dessus à partir de 2016. Elles engrangent des centaines de témoignages, analysent des milliers de documents… et réussissent à mettre en défaut les puissants avocats de la firme.

Le récit de Justine Augier est haletant. Défilent des dirigeants arrogants, des collaborateurs zélés, des employés abandonnés à leur sort, des intermédiaires louches, et, dans l’ombre, les services de renseignements. Après dix ans de procédure, le procès est toujours en cours, le parquet national antiterroriste ayant dénoncé un financement du terrorisme tandis que Lafarge (personne morale) est également mis en examen pour complicité de crimes contre l’humanit

Au-delà de l’affaire en jugement c’est toute la problématique de la responsabilité d’une entreprise multinationale qui est posée. Jusqu’à présent camouflées derrière des cascades de holdings, ces entreprises se sont crues souvent, intouchables. Ce temps n’est plus. La loi du 27 mars 2017 a d’ailleurs précisé les règles applicables en la matière pour toutes les grandes entreprises. Le mérite du livre est de retracer l’engrenage syrien du cimentier en prenant successivement le regard des dirigeants, des actionnaires, des cadres expatriés et des employés abandonnés sur place. Récit polyphonique et juridiquement très précis qui décrit le naufrage financier et moral d’une des plus grandes entreprises françaises. Et passionnant récit d’une confrontation encore en devenir entre les puissances du marché et le droit des gens.

Justine Augier, Personne morale, Actes Sud

Bernard Attali

Editorialiste