Danger, masculinisme

par Laurent Joffrin |  publié le 02/07/2025

Un jeune homme qui projetait de s’en prendre aux femmes à coups de couteaux a été arrêté à Saint-Étienne. Fait divers ? Non : nouvel aboutissement de la haine réactionnaire en ligne.

Laurent Joffrin

On connaissait les menaces mortelles diverses nées du fascisme, du djihadisme, du racisme, de l’antisémitisme, du communisme, du terrorisme, de l’ultra-gauchisme, du nationalisme, du « black-blockisme », etc. Voici que nous arrive d’Amérique un nouvel « isme » nuisible et violent : le masculinisme.

Jusqu’à maintenant, on croyait cette bizarrerie réservée aux débordements d’une Amérique minée par les ferments d’une bataille culturelle qui confine à la guerre civile. Or un lycéen de 18 ans vient d’être interpellé à Saint-Étienne et mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteinte aux personnes. Si l’on en croit Le Monde, qui cite le Parquet antiterroriste, ce criminel en intention se réclame du mouvement « incel » (involuntary celibate), la secte masculiniste en ligne des « célibataires involontaires », qui sévit sur les réseaux à coups de déclarations haineuses contre les femmes, d’imprécations antiféministes et de menaces diverses et variés qui vont de l’agression simple au viol collectif en passant par le jet d’acide. Déjà plusieurs crimes ont été commis en nom de cette idéologie, au Canada notamment où un assassin « incel » a tué 13 femmes en quelques minutes.

En France, jusqu’à présent, les esprits candides pensaient que les « célibataires involontaires » étaient plutôt des émules de Jean-Claude Dusse, l’anti-héros des Bronzés immortalisé par Michel Blanc, toujours à la recherche d’un malentendu propice. Cette population masculine frustrée, pensait-on, remâchait son amertume en rasant les murs, espérant toujours un jour sortir de leur pénible solitude en trouvant l’âme-soeur. Mais il a fallu que l’agressivité réactionnaire, en pleine ascension dans tous les domaines, s’empare de cette misère sexuelle et affective pour en faire un phénomène politique. L’insuccès des hommes, leur expliqua-t-on, n’était pas lié à leur manque de charme ou à tel ou tel défaut physique ou psychologique, mais à l’action pernicieuse et injuste des féministes, qui avaient fait perdre à la gent masculine sa prédominance immémoriale au nom de ces idées funestes d’égalité.

Ainsi les malchanceux de l’amour trouvaient un exutoire politique et un bouc émissaire commode : l’horrible et humiliante marche des sociétés démocratiques vers l’émancipation féminine. Le monde criminogène des réseaux s’est mis de la partie en fournissant, par algorithmes interposés, une myriade d’exemples, d’images, de slogans, de raisonnements idiots et de théories stupides pour accréditer l’idée d’une soudaine sujétion masculine organisée par les militantes de l’égalité.

On songe aussitôt à l’excellente série britannique Adolescence, où l’on voit comment le lavage de cerveau en vigueur sur TikTok ou Facebook peut conduire au féminicide des gamins mal dans leur peau, dressés qu’ils sont, par la fréquentation à haute doses des écrans, au mépris et à la haine des femmes, tout autant qu’à l’habitude – symbolique puis réelle – de la violence pour se libérer de leur difficulté de vivre.

Nouvelle manifestation, donc, de la stratégie d’enfermement numérique et d’appel aux préjugés les plus éculés pratiquée par les néo-réactionnaires. Ces schémas ancestraux – la réaction antiféministe est vieille comme le féminisme – sont profondément enfouis dans la rhétorique diffusée par les gourous de la nouvelle élite technologique et financière. Celle-ci a réussi à persuader tous les laissés-pour-compte du capitalisme que leurs malheurs ne venaient pas du capitalisme lui-même, mais de ceux qui tentent d’en limiter les tares au nom de valeurs humanistes et démocratiques. Nouveau danger, donc : le masculinisme, dopé au amphétamines numériques, devenu maintenant criminel.

Laurent Joffrin