De la boue sur la couronne d’Espagne
Les habitants de la région de Valence cruellement affectés par des pluies diluviennes accusent à grands cris les autorités de négligence criminelle. Un avant-goût de ce qui attend les dirigeants de la planète.
Le roi n’y est pas pour grand-chose ; il a néanmoins passé un mauvais quart d’heure. À Paiporta, près de Valence, une des villes les plus touchées par les inondations catastrophiques qui ont ravagé la région, Felipe VI d’Espagne et son épouse Letizia, accompagnés par le Premier ministre Pedro Sanchez, ont été accueillis aux cris d’« assassins ! » par une foule qui a lancé de la boue sur le cortège, à tel point que la visite royale a été suspendue quelques heures plus tard.
À vrai dire, la mésaventure des souverains espagnols annonce ce qui sera le sort des dirigeants de la planète aux alentours de 2050, quand leur notoire inaction aura laissé le climat se dérégler dans les proportions annoncées par tous les scientifiques du monde connu. Les inondations du sud-est de l’Espagne ont causé la mort de plus de 200 personnes et la recherche des nombreux disparus alourdira à coup sûr ce bilan humain désastreux. On lit encore dans certains journaux qu’il s’agit d’une « catastrophe naturelle » causée par un phénomène habituel de « goutte froide » qui fait se rencontrer en haute altitude des courants aériens de température opposée et provoque des précipitations massives.
Or si la chose est naturelle, son ampleur ne l’est aucunement. Interrogé par Le Monde, le géologue Antonio Aretxabala explique que la température de la Méditerranée ne cesse d’augmenter du fait du réchauffement climatique, lequel découle de l’action humaine. L’atmosphère est par conséquent plus chaude et chargée de vapeur d’eau, ce qui change cette « goutte froide » en déluge catastrophique, dans une région où l’urbanisation s’est faite en dépit du bon sens, imperméabilisant les sols censés auparavant absorber la pluie. Le climatologue Aurélien Ribes ajoute qu’entre 1961 et 2022, la fréquence des « épisodes méditerranéens » les plus forts a doublé.
Au même moment, en France, on réduit les investissements destinés à freiner le réchauffement climatique ; aux États-Unis, Donald Trump, dont on dit qu’il peut gagner l’élection présidentielle, ne cesse rappeler ses convictions climatosceptiques ; partout les mêmes national-populistes se targuent de résister à la « dictature écologiste » et la Chine, entre autres nations irresponsables, reste un paradis du charbon, si bien que personne ne croit plus que les objectifs de conférence de Paris seront atteints et que la dernière réunion internationale consacrée au climat s’est terminée sans conclusion.
Entre des gouvernements atones, une extrême-droite négationniste du réchauffement et des écologistes radicaux qui subordonnent le salut de la planète à une fort invraisemblable « fin du capitalisme », personne ou presque ne s’attache à un quelconque plan global et réaliste qui concilierait, ici et maintenant, la lutte pour le climat et l’amélioration du sort des classes populaires, seul à même de réunir des majorités politiques autour d’une stratégie à la fois énergique et crédible. Ainsi le cri « d’assassins » poussé par les Espagnols submergés contre ses dirigeants risque fort de devenir, peu à peu, le mot d’ordre de tous les peuples du monde.