Dernier signal avant la crise

par Gilles Bridier |  publié le 18/10/2025

Il faut prendre au sérieux les agences de notation : elles sanctionnent l’instabilité politique en France et manifestent une perte de confiance dans la capacité du pays à s’extraire de son déficit chronique. Pour elles, la crise politique risque de dégénérer en crise économique.

L'agence de notation S&P a annoncé le 17 octobre 2025 avoir abaissé la note de la France de AA- à A+, invoquant le risque que le gouvernement ne réduise pas significativement son déficit l'année prochaine. (Photo LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Les signaux peuvent apparaître contradictoires. Le jour où l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) dégradait la note souveraine de la France, l’Agence France Trésor qui gère la dette de l’Etat indiquait une baisse du taux auquel la France emprunte sur les marchés financiers, à 3,3% pour les obligations à 10 ans au lieu de 3,6% dix jours plus tôt. Voilà qui démontre que les investisseurs n’ont pas les yeux rivés sur les notes des agences, et qu’ils ont anticipé ce que celles-ci traduisent après eux.

En l’occurrence, lorsque S&P sanctionne l’instabilité politique en France, les marchés ont à l’inverse déjà intégré les effets d’une suspension possible de la réforme des retraites susceptible d’introduire un peu d’apaisement dans les débats. D’où ces signaux divergents entre une note moins bonne de S&P et des taux un peu mieux orientés auprès des créanciers.

Pas rassurant pour autant ! On aurait tort de minimiser l’importance du message adressé par S&P au gouvernement de Sébastien Lecornu, après celui identique de l’agence Fitch et avant l’agence Moody’s dans une semaine. Car en dégradant la note de la France plus tôt que son propre calendrier ne le prévoyait, S&P souligne la gravité de la situation et son caractère inéluctable à moyen terme. En clair, l’agence ne croit pas au rétablissement de la situation budgétaire du pays dans une telle instabilité après tant de promesses non tenues et d’objectifs toujours repoussés.

Au contraire: alors que la dette traînée par la France aujourd’hui représente 114% de son produit intérieur brut, S&P anticipe que le boulet s’alourdira encore à 128% d’ici à 2028. Ce qui obligera les comptes publics à absorber une charge de la dette toujours plus asphyxiante, passée de 25 milliards d’euros en 2020 à 55 milliards en 2025. Soit trente milliards partis en fumée par rapport à 2020, l’équivalent du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur passé à la trappe. Sur un budget de 370 milliards d’euros de recettes budgétaires diverses cette année, ces intérêts n’en représentent pas moins de 15%. Pour faire face, pas d’autre moyen que d’emprunter toujours plus: 300 milliards cette année. Conséquence, les projections sont toujours plus sombres, avec 67 milliards de charge de la dette prévus en 2026 avant 75 milliards en 2027, selon l’Agence France Trésor… alors qu’il est si difficile d’en économiser quelques-uns. Ce sont ces intérêts de la dette, plus que la dette elle-même, qui plombent les budgets et réduisent les marges de manoeuvre de l’Etat providence. Aucune arithmétique ne saurait conclure autrement.

Certes, la politique de la France ne se fait pas – à défaut de corbeille – dans les agences de notation. Mais cette dérive sanctionne l’échec du concept de « start-up nation » dont l’instigateur à l’Élysée n’apparaît plus comme le garant de la croissance du pays. D’où la défiance des agences. L’instabilité gouvernementale en France est prise au sérieux hors des frontières. Les capitales européennes sont focalisées sur les débats parisiens dans l’espoir que la déroute politique de la deuxième économie de l’Union sera enrayée avant qu’elle ne dégénère en une grave crise économique qui plomberait l’euro.

On pourra critiquer la politique menée par la Commission européenne sous le contrôle du Conseil européen, déplorer que le moteur franco-allemand ne fonctionne plus à plein régime, regretter que la concurrence fiscale en Europe prenne le pas sur la solidarité, souligner que le centre de gravité de l’Europe se déplace vers l’est… Mais c’est dans ses ressources que le pays doit d’abord puiser pour redevenir crédible lorsqu’il se tourne vers ses créanciers. Si les partis de gouvernement ne s’entendent pas sur des leviers d’action, s’ils ne parviennent pas à composer plutôt que se lancer des ultimatums, ils ouvriront le pouvoir aux forces radicales – et d’abord à l’extrême droite qui profite d’une dynamique européenne favorable. Sans garantie de redressement pour autant : face aux réalités budgétaires, aucune démagogie ne peut faire illusion bien longtemps.

Gilles Bridier