Des députés déconnectés
Alors que le Palais-Bourbon ne résonne que de motions de censure, les conditions nécessaires à une relance de la croissance, comme l’éducation, l’innovation et la technologie, sont absentes des débats. En dépit des avertissements d’un Delors ou d’un Rocard.
Les débats politiques en France sont-ils condamnés à toujours être en retard d’une guerre ? On s’écharpe aujourd’hui à l’Assemblée nationale dans un spectacle affligeant sur le dossier des retraites. Mais comme le rappelle l’économiste Maxime Sbaihi de l’Institut Montaigne, Michel Rocard puis Jacques Delors avaient tous deux décrit le scénario « insoutenable » auquel seraient confrontés les Français si leurs dirigeants ne s’attelaient pas à réformer en profondeur le système des retraites. C’était en 1991, le premier alertait dans un Livre blanc resté célèbre: « ceux qui, pour des gains politiques à courte vue, croiraient flatter l’opinion en niant le problème, programmeraient sûrement une guerre des générations ». On y est, quelque trente ans plus tard.
Les députés du moment paient l’impéritie de leurs prédécesseurs. Mais font-ils mieux, en se détournant d’autres dossiers d’avenir ? Pour l’économie française comme pour l’Union européenne, les défis pour générer de la croissance sont ailleurs. Et d’abord dans l’investissement et l’invention technologique. A défaut d’être une révélation, c’est la thèse de l’économiste Philippe Aghion, nouveau titulaire du prix de la Banque de Suède en sciences économiques – dit Nobel de l’économie. Il rejoint l’ancien président de BCE Mario Draghi qui, dans son rapport à la Commission européenne, souligne que face aux États-Unis et à la Chine, le retard de compétitivité de l’Europe se creuse parce que son modèle de croissance s’érode et que « le financement des investissements requis n’est pas clairement tracé ».
Mais foin de cet enjeu d’avenir ! On en reparlera plus tard au Palais-Bourbon, dans quelques années… lorsqu’il sera trop tard. Pourtant, les exemples ne manquent pas qui révèlent que tout relâchement dans l’investissement se paie au prix fort. L’industrie automobile française est maintenant sinistrée, à tel point que le Sénat craint maintenant le « crash ». L’excellence française dans l’industrie nucléaire a bien pâli et ses concurrentes lui soufflent maintenant les marchés. Faute d’avoir favorisé le passage à l’industrialisation de technologies innovantes, la France a perdu tous ses fabricants de téléphones portables comme de panneaux photovoltaïques. On n’en parle plus, c’est si ancien ! Son TGV ne fait plus rêver, la sidérurgie baisse le rideau et la liste est encore longue. Le résultat est là: l’industrie manufacturière ne pèse plus que 11% dans le PIB français. Est-ce que les députés s’en désintéressent parce qu’il faut plusieurs années – plus que la durée d’un mandat électif – pour toucher les dividendes d’un investissement dans l’industrie ? C’est pourtant la clé d’une dynamique de croissance, et il en va de l’emploi, des cotisations sociales et donc du financement de la protection sociale dont on parle tant…
Qui s’en soucie ? L’important, dans le débat, c’est la menace d’une censure ! On perdrait son temps à rappeler que, pour 2025, les perspectives économiques de l’OCDE créditent la France d’un petit 0,6%. C’est certes deux fois plus que l’Allemagne, mais aussi deux fois moins que la moyenne de la zone euro (tirée par l’Espagne) et cinq fois moins que les pays du G20. Mais surtout, alors que nos voisins allemands semblent s’extraire en fin d’année de la panne de croissance liée au dérapage de leur modèle automobile, l’incertitude politique dans laquelle est plongée la France ne laisse pas entrevoir de rebond, soulignent la Banque de France et l’Insee. Plutôt que de voir comment alimenter la croissance, on préfère débattre à l’infini sur le partage du gâteau d’aujourd’hui sans s’interroger sur ce qu’il en restera demain. Tout le contraire de ce que devrait être le travail d’une représentation nationale soucieuse de construire l’avenir.



