Des idées pour la social-démocratie

par Laurent Joffrin |  publié le 26/09/2024

On a longtemps dit que le logiciel de la gauche réformiste était désuet et dépassé. Le livre de Denis Pingaud (*), dont on ne parla pas assez, montre le contraire.

Laurent Joffrin

La social-démocratie ? Dépassée ! Productiviste, platement redistributrice, engluée ses concessions au libéralisme, quoique bénéficiant d’un retour en grâce en raison des errements de la radicalité, elle peinerait à renouveler ses valeurs et son programme. Voilà le catéchisme longtemps ânonné par de nombreux médias fascinés par le discours péremptoire de l’extrême-gauche, avant que le bon score de Raphaël Glucksmann et les outrances répétitives de la France insoumise ne les dégrise de l’ivresse radicale. On en vient maintenant à concéder qu’après tout, pour s’opposer à la fois au RN et à un macronisme dégradé, la renaissance d’une gauche capable de gouverner serait tout de même plus satisfaisante pour la santé de la démocratie française.

Mais on pose aussi une question légitime : cette gauche renaissante a-t-elle des idées et, si oui, lesquelles ? C’est là que le livre de Denis Pingaud, président du cabinet de conseil Balises et vice-président du think tank La Fabrique écologique, vient à point nommé. Clair, d’agréable lecture, synthétique, il donne un précieux panorama des réflexions engagées depuis plusieurs années à la frontière du socialisme démocratique et de l’écologie (**).

Le socialisme en effet, moteur d’innombrables progrès depuis sa naissance, tenait pour acquise la domination conquérante de la nature par le travail humain, et se concentrait sur les rapports de classe pour mettre la production – qu’il jugeait sans limite visible – au service du plus grand nombre. Dompter le capitalisme en vue de l’émancipation générale : tel était son projet. On sait, depuis un certain temps maintenant, que cette ambition historique laissait dans l’ombre un autre lien, tout aussi décisif, celui de l’humanité avec la planète. Ce fut l’apport de la pensée écologique que d’éclairer ce point aveugle du progressisme.

Proche des écologistes, mais rattaché à la gauche réformiste, Pingaud propose donc de rénover l’ancien logiciel pour lui substituer celui de la social-écologie, dont le but est de réconcilier deux impératifs : satisfaire les aspirations populaires à l’émancipation tout en relevant le défi de la préservation de la planète. À distance, donc, de l’écologie « punitive » et de l’ancien productivisme, il énumère les principales réformes qui soutiendraient l’action de cette social-démocratie des années à venir, planification, le bonus-malus fiscal et climatique, le « compromis nucléaire », les nouvelles mobilités ou l’entreprise à responsabilité sociale et écologique, etc.

Des réformes qui supposent une relation nouvelle entre les partis et les acteurs sociaux, dans le cadre d’un débat politique qui récuserait brutalité et outrance pour confronter les projets nés de l’action militante au jour le jour. Pour le fun, il énumère en fin d’ouvrage les possibles « incarnations » qui pourraient, le jour venu, porter les couleurs de cette gauche renouvelée, pour terminer par une figure inattendue. Sur tous ces points, les sociaux-démocrates, revenus du néant, mais toujours divisés et incertains, seraient bien avisés d’ouvrir une urgente discussion.

(*) Denis Pingaud – Sortir de l’impasse, Les Petits Matins, 180 pages, 18 euros.

(**) Voir, par exemple, le manifeste Le Pouvoir d’Agir, publié par le Lab de la Social-démocratie

Laurent Joffrin