Détroit d’Ormuz : la fausse menace ?
Le détroit d’Ormuz est le maillon faible du transport maritime de pétrole. Mais l’Iran n’aurait aucun intérêt à aggraver sa situation économique ni à nuire aux intérêts de la Chine, restant son unique soutien.

En théorie, le détroit d’Ormuz est le talon d’Achille du transport pétrolier mondial. Goulet d’étranglement du Golfe Persique entre l’Iran d’un côté et le sultanat d’Oman et Dubaï de l’autre, il est un point de passage obligé pour les exportations d’or noir des Émirats Arabes Unis, du Koweit, de Bahrein et de l’Irak, mais aussi de l’Arabie saoudite pour partie et du Qatar pour le gaz. L’équivalent de 20 millions de barils, soit 20% du trafic maritime de pétrole, y transitent chaque jour dans les flancs des tankers. Si Téhéran décidait d’y empêcher la circulation des navires, à l’aide de torpilles, de missiles ou de mines sous-marines, le marché mondial des hydrocarbures serait totalement désorganisé. Et l’Iran, à l’origine de quelque 4% de la production mondiale de pétrole, serait le premier pénalisé par une action qui tiendrait surtout d’un suicide pour le régime des mollahs. Mais bien au contraire, après les premières frappes d’Israël, les exportations de pétrole iranien auraient même augmenté de 40% pendant plusieurs jours.
Et réalité, les cours du pétrole semblent étrangers aux bouleversements de la géopolitique au Proche Orient, suite à l’intervention des Etats-Unis dans le conflit ouvert par Israël avec l’Iran. Après le bombardement par Israël des installations nucléaires iraniennes le 12 juin dernier, le prix du baril avait progressé de 7% en une semaine. Mais l’entrée de Washington en soutien militaire à Tel Aviv le 21 juin n’a pas déclenché de nouvelle vague haussière. En clôture de Wall Street le 23 juin, le cours du pétrole retombait sous les 68 dollars pour le WTI, à son niveau du 12 juin. Comme si l’intervention américaine avait été intégrée dans les cours dès l’instant où Israël avait lâché ses bombes sur l’Iran, et comme si les craintes liées au blocage du détroit d’Ormuz s’étaient envolées.
En ce qui concerne l’intervention américaine, les marchés ont souvent une lecture binaire des évènements. En géopolitique, l’expérience montre qu’elle se vérifie plus souvent que des analyses sophistiquées. La tactique retenue pour l’intervention des bombardiers B2 a mis en oeuvre une logistique complexe, mais l’intervention en elle-même ne semble pas avoir surpris les marchés.
Quant aux craintes de blocage du détroit, Pékin a mis en garde l’Iran contre toute tentative d’entraver le commerce du pétrole. Or, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Iran, absorbant à elle-seule 90% des exportations d’hydrocarbures iraniennes et contribuant au tiers de ses échanges internationaux. A ce titre, elle est non seulement un partenaire déterminant de l’économie iranienne en proie à une inflation de près de 40%, mais aussi son seul soutien. Depuis les accords d’Abraham de 2020 entre d’une part Israël, d’autre part les Émirats arabes unis et Bahrein, de nouvelles relations se sont tissées entre le Proche Orient sunnite et l’état hébreu. Isolant un peu plus l’Iran chiite, leur adversaire historique.
Quant à la Russie, outre des communiqués pour condamner l’intervention israélo-américaine au nom de principes qu’elle transgresse elle-même sans états d’âme en Ukraine, il n’est pas dans son agenda de se mesurer aux États-Unis au Proche Orient. Le deal est peut-être ailleurs. Dans ces conditions, Téhéran peut-il s’aliéner le soutien diplomatique de Pékin ? Difficile à imaginer, sauf dans un ultime défi morbide des Gardiens de la révolution en même temps qu’ils signeraient la fin du régime des mollahs. C’est une hypothèse que les compagnies d’assurance maritimes ont intégré en haussant le niveau des contrats, relevant ainsi les taux de fret pétroliers.
Tant que le détroit d’Ormuz restera ouvert, le monde ne manquera pas de pétrole. Les Etats-Unis, devenus premiers producteurs, ne demandent qu’à pousser les feux sous l’impulsion de Donald Trump. L’Arabie saoudite veut augmenter ses exportations d’or noir au moment où elle doit emprunter sur les marchés financiers pour combler son déficit budgétaire. La Russie, bien que sous sanctions de l’Occident, ne manque pas de navires fantômes et de circuits alternatifs pour alimenter à bas prix des pays peu regardants. Quant aux autorités iraniennes, elles savent aussi faire preuve de pragmatisme ; elles le montrent par l’intensité mesurée de leurs réactions aux bombardements et leur ouverture à une éventuelle négociation. D’où une certaine sérénité des marchés pétroliers. Pour l’instant…