Droit du sol : l’obsession biologique
En restreignant le droit du sol à Mayotte, droite et extrême-droite ne veulent pas seulement régler un problème local. Elles ont en tête une conception biologique et ethnique de la nation contraires à la tradition républicaine.
A priori, la mesure semble de simple opportunité : un certain nombre de jeunes Comoriennes viennent accoucher à Mayotte en espérant que leur enfant devienne automatiquement français. Pour cette raison, et pour la deuxième fois, la droite vient d’y restreindre le droit du sol, qui postule qu’on devient français par la naissance sur le territoire et pas seulement par la filiation.
Au vrai, la mesure ne résoudra en rien les difficultés de Mayotte : l’immigration massive qui déséquilibre l’île et pose des problèmes d’habitat inextricables découle pour l’essentiel de la disparité des niveaux de vie avec les Comores voisines. L’immigration « par accouchement » ne joue qu’un rôle très secondaire. Si droite et extrême-droite tiennent tant à la réforme, c’est qu’elles ont une autre idée en tête : faire de Mayotte un précédent, qui pourrait ensuite s’étendre à l’ensemble du pays. Marine Le Pen l’a dit très clairement : Mayotte n’est pour elle qu’une première étape, qui servira d’exemple quand elle voudra imposer sa politique xénophobe.
La gauche proteste en arguant que le « droit du sol » est un pilier de la République. Elle n’a pas tout à fait raison. Ce mode d’acquisition de la nationalité n’est pas né des principes républicains. Les rois de France, depuis François 1er, ont considéré avec constance que les étrangers nés en France devaient être intégrés à la masse de leurs sujets, ce qui avait pour effet de renforcer le royaume, sur les plans démographique et militaire. Napoléon 1er, contre son avis personnel, avait laissé son Conseil d’État revenir sur cette disposition, alors même qu’il estimait – en tant que Corse d’origine devenu Empereur des Français – qu’on est du pays qui vous a vu grandir et qui vous a éduqué. Les différents régimes du 19ème siècle avaient ensuite rétabli sous diverses formes le droit du sol, pour des raisons tout aussi pratiques : le Second Empire, puis la République, avaient besoin de travailleurs et de soldats et pariaient, pour le reste, sur la capacité assimilatrice de la nation. Le nombre d’enfants d’étrangers tués sur les champs de bataille, tout aussi patriotes que leurs camarades, leur avait donné raison.
Peu à peu, le droit du sol est devenu une tradition républicaine. Pleine de confiance en elle-même, la République était sûre que la force de ses principes, la prégnance de ses coutumes, la séduction de son histoire et de sa culture, feraient des enfants d’étrangers, au total, des citoyens tout aussi français que les autres. C’est cette perte de confiance face l’immigration qui a ressuscité l’ancienne hostilité – déjà manifestée sous Vichy – aux « Français de papier », selon la formule discriminatoire employée par le Rassemblement national. La qualité de Français, disent les lepénistes, « s’hérite ou se mérite ». En d’autres termes, il y a un « sang français » qui se transmet biologiquement ou bien doit s’acquérir au fil d’un long parcours de vérification. Conception raciale, pour ne pas dire raciste. Sur cette base, on considérait naguère que les Juifs n’étaient pas des Français comme les autres…
D’où l’obsession pour l’abolition du droit du sol, qui ferait « de mauvais Français », quand bien même ils auraient suivi les mêmes écoles, habité les mêmes quartiers, parlé la même langue et vécu dans le même cadre que les autres, qui sont déjà, – faut-il le rappeler ? – des Français fort divers dans leurs opinions, leur religion, leur classe sociale ou leurs moeurs. C’est la crainte identitaire, selon laquelle la France serait une nation ethnique devant se défier par hypothèse de toute immigration, qui remet en cause le droit du sol. Ainsi les trouillards de la République en tiennent pour le seul droit du sang. Tous les autres, ceux qui croient encore aux principes de la République, à son avenir et à la capacité de la nation à surmonter les défis qui se présentent à elle, doivent défendre bec et ongles le droit du sol.