Droite : une victoire à la Pyrrhus
La droite célèbre son succès avec la nomination de Michel Barnier à Matignon. Elle risque fort de déchanter : elle traîne aux pieds quatre boulets. Par Sylvie Pierre-Brossolette.
Enfin les ennuis commencent ! avait lâché François Mitterrand au soir de sa victoire du 10 mai 1981. Michel Barnier, propulsé à l’arraché à Matignon, peut se dire la même chose. Le triomphe inattendu de la droite – avec seulement 47 députés ! – à l’issue d’un interminable vrai-faux suspens, donne satisfaction à une famille politique frustrée du pouvoir depuis 2012. Mais ce ne sont pas les délices de Capoue qui attendent ce camp impatient de retrouver la direction du pays. Plutôt une victoire à la Pyrrhus.
Le prix à payer pour se retrouver aux manettes s’avère en effet extrêmement lourd. Il y a d’abord le poids du péché originel, un avènement béni par le Rassemblement national. Cela rend doublement vulnérable : à la critique morale de nombreux citoyens qui s’étaient coalisés pour éviter l’extrême-droite ; à la suspicion quotidienne à chaque décision prise portant sur les sujets de prédilection du RN. L’interrogation surgira : est-ce une concession au parti de Marine Le Pen ? Michel Barnier nie gouverner sous sa surveillance mais il sera en permanence suspecté d’en tenir compte. Et obligé de se justifier. Inconfortable.
Il y a ensuite l’hétérogénéité des soutiens. Le gouvernement, déjà handicapé par une absence de majorité, va être obligé de godiller, tantôt pour satisfaire son aile conservatrice, tantôt pour calmer son aile plus centriste. Ce n’est pas une nouvelle version du « en même temps », – il n’est plus question de gouverner à gauche – mais l’exercice y ressemblera parfois. Les élus de LR exigeront que leur politique soit enfin appliquée, ceux du groupe Ensemble voudront faire entendre leur différence. Le « oui, mais » a changé de camp. Ce ne sont plus les députés républicains qui menaceront de se joindre à un vote de censure mais l’aile progressiste des néo-macronistes. On a bien compris que Gabriel Attal ne donnait pas de chèque en blanc à son successeur. Les échanges entre le Premier ministre et les élus macronistes mardi soir ont été une illustration de l’ambiguïté de la situation. La perspective de la résurgence d’un ministère de l’immigration, par exemple, a immédiatement suscité un veto côté progressiste et obligé à un démenti.
Il y a aussi la perspective d’un changement de mode de scrutin. L’adoption de la proportionnelle, exigée par le RN mais souhaitée également sur les bancs de l’opposition de gauche, menace la survie de la droite républicaine. Sauvée presque malgré elle par le Front républicain rendu nécessaire par le couperet du scrutin majoritaire, elle n’aurait plus cette protection avec un système où chacun se compte. La situation pourrait être encore plus difficile si une prime majoritaire est accordée à la liste arrivée en tête. Le RN en profiterait à plein. Et, à gauche, les sociaux-démocrates pourraient enfin se libérer de la tenaille LFI, renforçant leur attractivité. Une nouvelle donne à haut risque pour la droite lors des prochaines législatives qui auront peut-être lieu dans 10 mois.
Il y a enfin le hasardeux pari du pouvoir. La droite perd le confortable statut d’opposant. Laurent Wauquiez avait préconisé de ne pas monter sur le Titanic pour ne pas obérer les (ses ?) chances de succès en 2027 ou avant. Voila la droite embarquée dans des eaux dangereuses. Comment éviter que les solutions proposées pour sortir de l’impasse budgétaire ne mécontentent une majorité d’électeurs ? Que ce soit des impôts supplémentaires ou des économies, ce sera douloureux. On n’a encore jamais vu un parti au pouvoir confronté à une telle crise gagner ensuite des élections. Et si d’aventure Michel Barnier réussissait l’exploit de sortir la tête de l’eau, il pourra compter sur ses petits camarades pour l’y replonger. Dans la course à la présidentielle, il serait devenu dangereux. Il devra donc se garder de ses amis, autant que de ses ennemis.