Du rouge au noir, la folie Mussolini
Roman graphique de Jean-Charles Chapuzet et Christophe Girard, La Dernière nuit de Mussolini explore le rapport du Duce au monde, entre pouvoir, folie et emprise.
Quelle belle trouvaille que cet album sur les derniers moments de l’inventeur du fascisme. Chacun connaît la photo de Benito Mussolini, pendu par les pieds avec sa maîtresse Clara Petacci sur la grand-place de Milan, après avoir été presque dépecé par la foule en avril 1945, lors de la libération de l’Italie. Mais comment Mussolini s’est-il laissé acculer dans une telle souricière ? Par quelle folie, quelle spirale meurtrière ou fuite en avant l’instituteur socialiste de la Première Guerre mondiale est-il devenu le dictateur d’extrême-droite au cœur de la Seconde ?
La folie : voilà sans doute la question centrale de ce roman graphique très documenté, qui cherche moins à retracer le parcours biographique complet de Mussolini qu’à d’explorer son rapport au réel, au pouvoir et aux femmes. La transe malsaine et sanglante d’un grand théoricien de la violence populiste, qui affirmait sans vergogne que « la foule, comme une femme, est faite pour être violée. »
Le beau dessin monochrome de Christophe Girard explore cette spirale à la fois sexuelle et morbide avec une plastique très crue, d’une grande force graphique. Et si le récit retrace le parcours presque grotesque des derniers moments de la cavale du Duce dans les Alpes italiennes, en vue d’une éventuelle fuite vers le Reich, il articule surtout ce trajet avec de nombreux flash-backs sur la vie de celui que ses compagnes surnommaient « Ben », depuis la naissance du fils de maréchal-ferrant dans la province de Romagne jusqu’à la marche sur Rome puis le rapprochement avec Hitler, et enfin la pathétique République d’opérette de Salo.
L’enchevêtrement des niveaux de lecture rend le récit parfois complexe, notamment lorsque les auteurs décident d’inclure une incise sur le meurtre du cinéaste Pasolini au détour d’un chapitre, 30 ans après le lynchage du dictateur. Mais se dégage de l’ensemble une véritable finesse d’analyse, doublée d’une captivante proposition romanesque.
La Dernière nuit de Mussolini, scénario de Jean-Charles Chapuzet, dessins de Christophe Girard, éditions Glénat, 128 pages, 21,50 €