Dutroux : le film qu’on pensait impossible

par Thierry Gandillot |  publié le 17/01/2025

Sur cette affaire sordide et terrible, Fabrice du Welz a réussi une œuvre saisissante qui évite écueils et poncifs.

Anthony Bajon, Alba Gaïa Bellugi et Fabrice du Welz pour le film « Maldoror » lors du 81e Festival International du film de Venise le 3 septembre 2024. (Photo PASCAL LE SEGRETAIN / Getty Images via AFP)

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’était pas un film facile. Au milieu des années 1990, l’affaire Dutroux a tétanisé la Belgique et le traumatisme en est toujours vivace. Fabrice du Welz, réalisateur belge, pourtant aguerri, en avait bien conscience en se lançant dans l’aventure:
« Comme l’histoire était particulièrement sordide, il était délicat de m’en emparer, surtout en Belgique où elle reste à fleur de peau. Et quand j’ai commencé à évoquer un film « inspiré » de l’affaire Dutroux, je me suis retrouvé face à un bloc d’hostilité. Il fallait que je trouve le bon axe, le bon regard, la bonne distance, sans jamais heurter les victimes.

Comme beaucoup de gens de ma génération, je me suis fracassé sur une histoire dantesque avec de la rétention d’information, de l’absurde, du ridicule, de la médiocrité, de la négligence. Cette affaire nous a collé à la peau, à nous, Belges, pendant longtemps : c’était un cloaque dans lequel les citoyens ont été jetés, assistant, épouvantés, à l’impuissance des parents des petites victimes face aux dérives et à l’absurdie de la justice. On découvrira par la suite que l’enquête a été entravée par des rivalités policières qui ont créé de multiples dysfonctionnements et des dommages irréparables. En Belgique comme ailleurs dans le monde, on s’est tous interrogés : comment en est-on arrivés là. »
C’est exactement ce que ce très long film, 2h35, raconte avec une puissance et une intensité remarquables.

Comment en est-on arrivé là ? Quand deux, puis cinq petites filles disparaissent dans un quartier de Charleroi, ville industrielle, jadis prospère, tombée dans la misère, l’émotion est immense. Un jeune gendarme idéaliste, Paul Charlier, se prend de passion pour cette affaire qui piétine. Son passé l’y prédispose. Orphelin, placé dans une famille d’accueil, il a vraisemblablement été un enfant battu. Il rejoint donc l’équipe chargée d’une opération secrète nommée « Maldoror » en référence à l’œuvre de Lautréamont.

Un suspect, récidiviste de surcroît, est bien identifié. Mais rien ne se passe, l’enquête piétine et Paul s’aperçoit vite que les différents services chargés de l’affaire se neutralisent. A l’époque les trois services de police du pays – police communale, police judiciaire et gendarmerie nationale – ne communiquent pas – pire, ils rivalisent. Une scène est particulièrement saisissante. Quand les policiers visitent la maison du suspect, ils entendent des chuchotements derrière un mur de la cave. L’entrée est à peine masquée par une bibliothèque. Il suffisait de la déplacer pour sauver les deux fillettes encore vivantes à ce moment-là. D’où le scandale quand ce fait fut rapporté par la presse.

Au moment du drame, deux théories s’affrontaient. L’une optait pour un tueur isolé. L’autre supposait l’existence d’un réseau pédophile. « Sans verser dans le complotisme », précise-t-il, Fabrice du Welz choisit la seconde hypothèse. Il est persuadé qu’au moins trois hommes puissants de la ville étaient au cœur de ce trafic de fillettes. Le film est porté par un trio d’acteurs impeccables : Anthony Bajon, le jeune gendarme ; Sergi Lopez, le tueur ; et Jacky Berroyer, l’organisateur du réseau pédophile. Non, ce n’était pas un film facile. Mais Fabrice du Welz l’a fait sans faux pas.

Le Dossier Maldoror de Fabrice du Welz, 2h35, avec Anthony Bajon, Alba Gaïa Bellugi, Alexis Manenti, Sergi Lopez, Laurent Lucas, Béatrice Dalle, Jacky Berroyer, Mélanie Doutey.

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture