Échapper au sort de l’industrie
La France se rêvait en championne de la sidérurgie ou de l’automobile. La déconvenue est sévère. L’agriculture n’échappe pas à la règle.
Des filières agricoles peuvent disparaitre. Inimaginable ? Vraiment ? Et pourtant…
Qui aurait prédit, au début du siècle dernier, qu’il ne resterait plus rien des canuts qui avaient fait la renommée du quartier de la Croix Rousse à Lyon, que toute l’industrie de l’habillement serait sinistrée, et que la France importerait aujourd’hui deux fois plus de produits textiles qu’elle n’en exporte, en provenance de Chine, du Bangladesh, de Turquie, d’Inde ou du Vietnam ?
Qui aurait pensé que la sidérurgie française, en troisième position mondiale après la privatisation d’Usinor en 1994 et même leader au tournant du siècle, disparaitrait du peloton de tête des grands pays de l’acier après l’absorption de son champion par l’indien Mittal, et serait reléguée aujourd’hui au 16e rang des pays producteurs, loin derrière la Chine, l’Inde ou la Japon ?
Et la construction automobile ? La France, qui se targuait d’en être un des berceaux et pointait dans le peloton de tête jusque dans les années 2000, a vu les constructeurs déserter ses usines avant de subir une dégringolade de la production – revenue l’an dernier au niveau de 1960, traduisant une relégation au 12e rang mondial. Loin derrière la Chine qui en produit vingt fois plus. Depuis 2008, dans l’automobile, la France importe plus qu’elle exporte.
Un déclin insidieux
Il n’est pas de secteur où les lauriers seraient acquis à jamais, dans l’agriculture comme dans maints autres pans de l’industrie. L’érosion de l’activité peut être lente, parfois imperceptible sur le temps court, mais elle est toujours insidieuse, irréversible, au nom de la concurrence, de la compétitivité et du gain de pouvoir d’achat pour les consommateurs. A chaque fois sont invoqués les prix plus élevés des productions françaises, comme pour les panneaux photovoltaïques ou les voitures électriques, des normes trop contraignantes, comme dans l’industrie chimique ou pharmaceutique, une concurrence déloyale dans un environnement mondial qui n’a plus rien d’un village planétaire. Exactement comme pour l’agriculture aujourd’hui lorsqu’on écoute ceux qui en vivent et font vivre leurs concitoyens.
Les responsables politiques ont pu analyser in situ ce qui a causé le déclin de ces activités industrielles. Forts de ces expériences, ils devraient pouvoir éviter aux filières agricoles les plus menacées de connaître un sort comparable. C’est ce que leur demandent les agriculteurs en colère, au-delà même du projet de traité de libre-échange avec le Mercosur.
Car rappelons que – avant même son éventuelle ratification – l’excédent de la balance commerciale agricole a été divisé par deux en dix ans (à cause notamment d’un doublement des importations), et que le pays est passé du deuxième rang mondial des pays exportateurs de produits alimentaires au début des années 2000, à la dixième place aujourd’hui. Comme si la spirale du déclin dont ont été victimes la construction navale, l’électronique grand public ou l’automobile était déjà engagée.
Mais pour l’instant, même si on assiste à une unanimité inhabituelle pour l’ensemble du spectre politique, les déclarations en faveur de la sauvegarde de l’agriculture française tiennent plus de la gesticulation électoraliste que d’un véritable engagement réaliste – programmes et décisions à l’appui – pour construire un avenir à toutes les filières. Il ne s’agit pas d’ériger des frontières pour que la France se replie sur elle-même, le remède serait pire que le mal. Mais de donner les moyens aux agriculteurs d’affronter la concurrence à armes égales.
Consommateurs, à vous de jouer !
Pour que l’agriculture française reste une championne des labourages et pâturages, on pourrait d’abord imaginer que la structure des réseaux de distribution soit remise à plat, pour que les agriculteurs profitent pleinement des avantages qui peuvent leur être consentis, sans pour autant que les intermédiaires ponctionnent leur quote-part.
La loi Egalim pour l’équilibre des relations commerciales a montré ses limites. Aux politiques de surmonter le poids des lobbies. Aujourd’hui, la consommation alimentaire décroît et est retombée, en volume, à son niveau de 2005. Raison de plus pour être encore plus sourcilleux sur le partage de la valeur ajoutée.
On a souvent prétendu que les consommateurs votent avec leur carte de crédit, privilégiant les produits les moins chers pour préserver leur pouvoir d’achat et contenir l’inflation. Mais aux côtés des producteurs et des pouvoirs publics, ils peuvent accentuer leur soutien à l’agriculture en sélectionnant les produits en fonction de leur provenance. Quitte, même si c’est insuffisant, à se porter de plus en plus sur des labels qui mettent en valeur des circuits courts, plus économiques et plus écologiques.
On pourrait aussi imaginer que les agriculteurs puissent fixer eux-mêmes les prix auxquels ils vendent leurs productions, sans que ceux-ci leur soient imposés par les grands réseaux. Comment des chefs d’entreprises peuvent-ils être responsables de leur activité s’ils ne maîtrisent pas leurs prix de vente ? Les pistes de travail existent. Les paysans réclament d’adapter les coûts et les normes. Toute la question est de savoir qui veut les entendre.