Échec du conclave ? Tous perdants !

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 25/06/2025

François Bayrou est évidemment le premier touché par l’absence d’accord entre les partenaires sociaux. Mais cet échec fait d’autres victimes : le dialogue social, le réformisme syndical… et le PS, qui renoue avec la ligne fauriste.

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, confédération française démocratique du travail, là l'issue de la réunion avec le premier ministre et des représentants syndicaux, suite à l'échec du conclave en charge des négos au sujet des retraites, à Matignon, le 24 juin 2025. (Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP)

Le Premier ministre a gagné du temps mais perdu son pari. Embarqué dans l’aventure du conclave pour se sortir d’une menace de censure socialiste, il se retrouve six mois plus tard avec cette épée de Damoclès en passe de tomber. Certes, probablement sans faire chuter son gouvernement, puisque le RN projette de baisser le pouce plutôt à l’automne. Mais le voilà tout de même sacrément affaibli, à la merci du bon vouloir de l’extrême-droite.

La nasse risque de se refermer à la rentrée, lors de la discussion budgétaire, lorsque notre vrai-faux élève de Mendès posera la question de vérité sur la loi de Finances pour 2026. Les forces politiques n’auront pas été convaincues par les orientations présentées à la mi-juillet – c’est écrit d’avance – puisque gauche et droite resteront campées sur leurs positions incompatibles : pas de coupes sociales pour la première, pas d’impôts supplémentaires pour la seconde. Trou de souris en trompe-l’œil…

L’hôte de Matignon, n’est pas la seule victime du conclave raté. Avec ces mois de discussions partis en fumée, c’est le symbole même de dialogue social qui en prend un coup. Alors que l’idée faisait son chemin de confier la gestion du difficile suivi du dossier des retraites aux partenaires sociaux, comme pour les mutuelles, ce projet a du plomb dans l’aile. L’intransigeance du Medef, qui a préféré l’échec de l’exercice plutôt que d’accorder une ultime concession, montre que la France ne semble pas mûre pour ce transfert de responsabilité.

Désillusion, aussi, pour le réformisme syndical. Marylise Léon, patronne de la CFDT, jouait gros dans cette affaire. Le premier syndicat du pays souhaitait prouver que le dialogue pouvait mieux servir ses mandants que la chaise vide préférée par FO et la CGT. Cette femme courageuse, qui a fini par ne plus faire de l’abandon des 64 ans une condition de l’accord, n’a pas réussi à obtenir des progrès significatifs sur la pénibilité. Son pragmatisme n’a pas été validé. Et son espoir de récupérer la gestion du système s’est envolé. Dommage.

Du coup, les plus durs triomphent. Les syndicats, sur l’air de « On vous l’avait bien dit », comme les partis de gauche qui s’étaient montrés hostiles à toute négociation. Jean-Luc Mélenchon a le sourire aux lèvres. Il s’est réjoui, à l’annonce du dépôt d’une motion de censure socialiste avec des mots qui se voulaient humiliants : « Le PS revient à la raison ». C’est tout juste s’il n’a pas dit « à la maison ». En s’admettant « cocu », son ancien ami Jérôme Guedj a donné des verges pour se faire battre… Ravissement du lider maximo !

Car avec cet épisode, c’est bien la ligne d’Olivier Faure qui est de retour chez les roses, où le rêve social-démocrate a reculé de trois cases lors du dernier congrès. En se résignant à soutenir la proposition de déposer une motion de censure contre François Bayrou, les socialistes modérés, François Hollande compris, ont donné des gages aux tenants d’une position qui privilégie l’union avec des forces de gauche dont ils espéraient s’affranchir. A quoi servirait de faire tomber le gouvernement quand il n’y a pas de solution de rechange ? Certes, le gouvernement devrait être « sauvé » par le RN. Mais on ne sait jamais ce qui peut se passer au dernier moment. Et est-ce souhaitable de jeter à nouveau l’hôte de Matignon, qu’il s’agisse de François Bayrou ou de son possible successeur Sébastien Lecornu, dans les bras de Marine le Pen et Jordan Bardella ?

On peut comprendre l’envie des socialistes de marquer le coup après une séquence qui ne débouche pas sur un compromis leur sauvant la face. Mais ils savaient, en s’y engageant, que l’idée était davantage de prolonger le bail de Bayrou que de modifier la loi Borne. Aujourd’hui, ils font de la « popol », comme on dit. Avec des arguments à la limite de la mauvaise foi. Cela ressemble fort à une rechute. Peut-on s’en réjouir ?

Comment les Français vont-ils juger le théâtre d’ombres qui va se dérouler dans les prochains jours, et qui tiendra autant d’Ubu que de Kafka ? Aucune lueur à l’horizon. A l’heure où Raphaël Glucksmann tente de tracer une « vision pour l’avenir » social-démocrate, les acteurs de ce possible futur ne se montrent pas à la hauteur. Les calculs de court terme – le contrôle du parti, l’enjeu des municipales, la course à gauche – l’emportent sur la construction d’une force prête à gouverner. Faudra-t-il attendre 2032 ?

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse