Écoutez Draghi !

par Boris Enet |  publié le 20/09/2024

L’ancien président de la Banque Centrale européenne sonne le tocsin et propose un remède de cheval pour sauver l’Europe du déclassement. Il ne doit pas prêcher dans le désert.

L'ancien Premier ministre et économiste italien Mario Draghi et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors d'une conférence de presse sur l'avenir de la compétitivité européenne au siège de l'UE à Bruxelles le 9 septembre 2024. (Photo de Nicolas TUCAT / AFP)

Il a raison, Mario Draghi. L’ancien Premier ministre italien et président de la BCE fustige le retard pris par l’UE sur les Etats-Unis en matière de croissance et de productivité. Faute de réaction, écrit-il, l’Europe va tout droit au « décrochage ». Ce sont là vérités d’évidence, déjà mises en lumière par Enrico Letta, autre Italien pétri de lucidité.

Pour échapper à ce déclin inscrit dans les chiffres, Draghi, volontiers hétérodoxe dans son milieu de banquiers et d’économistes, propose un remède de cheval : un investissement de quelque huit cents milliards d’euros par an, financé à l’aide d’une nouvelle levée de fonds commune à l’échelle de l’Union ; la condamnation sans appel du chœur des Cassandre appelant à l’austérité voire à la décroissance mortifère ; la fin des déficits courants excessifs grâce à une réduction des dépenses publiques, concomitante avec l’effort d’investissement. Paris et six autres capitales européennes, rappelle-t-il, sont à ce titre rattrapées par la patrouille budgétaire pour déficit excessif.

Autre pavé dans la mare des conservateurs : l’UE est et doit demeurer une terre d’immigration. Moins enclin à avancer des solutions sur ce terrain où les susceptibilités nationales sont jalouses de leurs compétences, le sage s’attache surtout à fixer l’enjeu. Si elle se referme sur elle-même, dit-il, l’Union manquera à terme de plus de vingt millions de salariés et de citoyens. Un constat qui vient contredire sans appel les tenants d’une réduction plus ou moins drastique de l’apport des étrangers non-européens.

Au même moment, sous la poussée de l’extrême-droite, les gouvernements nationaux prennent le chemin inverse. L’Allemagne vient de rétablir les contrôles aux frontières intérieures dans l’espoir d’endiguer la poussée de l’AfD et de son pendant de gauche, l’alliance Wagenknecht. Pourtant, Berlin reconduit déjà plus de la moitié des immigrés en situation irrégulière et les quelque deux millions d’immigrés accueillis depuis 2015 sont en voie de bonne intégration dans la principale économie de la zone euro. Paris a d’autres contraintes, léguées par l’histoire et la longue expérience de ses relations avec Alger, Rabat ou Tunis. Mais là aussi, la droite française, sensible aux sirènes du RN, est brutalement prise à contrepied.

Conclusion de cette feuille de route exigeante : le renforcement de la gouvernance fédérale. Il faut le faire sans le dire, suggère Draghi, c’est là que le bât blesse. Car qui peut croire que la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ignorait l’existence du rapport avant d’être reconduite pour un second mandat ? Pourquoi un texte aussi important n’a-t-il pas irrigué la campagne pour les élections européennes de juin ? Mais peut-être est-ce trop demander à la démocratie communautaire…

Boris Enet