Électorats arabe et musulman : cœur de cible pour Harris
Il est aux USA une population qui, le 5 novembre, est susceptible d’envoyer par le fond la candidature démocrate : celle que constituent les citoyens musulmans et les électeurs d’origine moyen-orientale.
Cette population affiche, en temps d’accalmie relative, une préférence pour le parti démocrate, plus iréniste, moins partialement sioniste, comme il sut l’attester à Camp David I (1978) et II (2000) à Oslo (1993) ou à Taba (1995), sous Carter, Clinton ou Obama.
En temps de crise, en revanche, sa position, plus volage, se place en dépendance de la politique moyen-orientale de l’administration au pouvoir, de quelque couleur qu’elle soit.
Elle s’exprime alors contre cette administration mécaniquement pro-israélienne ou, au mieux pour lui, s’abstient de voter pour le parti de l’âne.
Aux heures de tension extrême, en effet, les USA ont le plus souvent affiché leur adhésion sans réserve aux menées de Tel-Aviv, après avoir fait leur, sous l’autorité du millénariste Wilson, la déclaration Balfour de 1917, puis, ardemment, la résolution 181 de l’ONU du 29 novembre 1947 portant partage de la Palestine et création d’un État juif.
Ils ont appuyé Israël lors des conflits de 1948, 1967 ou 1973 (le conflit de Suez de 1956 formant exception), manifestant une ferveur fraternelle redoublée depuis l’accession au pouvoir des mollahs chiites iraniens en 1979.
Ils n’ont pas toujours été très allants dans leur dénonciation de la répression des intifadas de 1987-1993 et 2000-2005.
Ils sont donc, aux heures les plus sombres, sous administration républicaine ou démocrate, en butte à la défiance des musulmans américains d’origine ou de conversion, qui sont aujourd’hui quelque 6 millions, dont 55% de sunnites et 16% de chiites, soit environ 1,8% de la population du pays. Ils s’y aliènent également les électeurs venus du monde arabe, musulmans ou non, dont le nombre a doublé en 20 ans, et qui sont à présent environ 1,2 millions.
Ces derniers sont, pour la plupart, regroupés en Californie, dans le New Jersey, à New-York, mais surtout dans le « swing state » du Michigan, où la ville de Dearborn, proche de Detroit, leur plus important lieu de regroupement national en pourcentage de la population locale, les a récemment vus manifester bruyamment leur courroux contre la partialité pro-israélienne de l’administration démocrate.
Or, Kamala Harris a un besoin impérieux des suffrages de ces électeurs au moment où la vague de protestation pro-palestinienne qui sévit au sein des milieux universitaires lui promet de nombreuses défections, ce que prédit régulièrement devant elle l’organisation Emgage, qui œuvre à l’engagement civique des musulmans américains.
Si le parti démocrate est repéré comme la moins belliqueuse des deux formations pro-israéliennes en lice, sa candidate fait néanmoins tout, comme Biden, pour faire ostentation de ses réserves à l’endroit de la politique actuelle de Tel-Aviv, notamment via l’activisme du secrétaire d’État Blinken, du secrétaire à la défense Austin et du chef de la CIA Burns. Harris fait publicité des efforts que l’administration en place déploie pour retenir le bras d’un Netanyahou dont la brutalité, l’entêtement et la vulgarité suscitent depuis longtemps l’aversion du très diplomate Biden.
Faut-il voir dans la timidité de la réplique israélienne du 26 octobre à l’agression iranienne du 1er octobre un succès diplomatique américain à fondement électoraliste ?
Israël joue-t-il la retenue de peur de voir Harris lui reprocher, sa victoire acquise, de lui avoir aliéné un électorat décisif ?
Craint-il de voir cet électorat échapper à Trump, son féal notoire, s’il lèse trop rudement Téhéran ? Sa décision ne dépend-elle en rien du vote du 5 novembre ?
Nul ne le sait qu’Israël, c’est bien entendu. Mais il paraît si inattendu qu’il domine tout à coup son agressivité qu’on ne peut éviter de se poser la question…
Et si, comme d’autres plus à l’est, le pays hébreu voulait avec subtilité apporter sa pierre à l’édifice de la victoire la plus favorable à ses desseins, celle de l’inconditionnel ami Trump ou d’une Harris « au tempérant reconnaissante » … ?