Émile de Girardin, l’inventeur de la presse moderne
Qui, hormis les historiens spécialistes du XIXème siècle et les journalistes, connaît Émile de Girardin ? Pourtant, « le Napoléon de la presse » est une figure majeure de son époque.

Ses chroniques, souvent virulentes, parfois d’une totale mauvaise foi, faisaient trembler les élites politiques. Il parlait d’égal à égal ou polémiquait avec Louis-Philippe, Napoléon III, Gambetta, Guizot, Proudhon ou Thiers, qui le détestait.
Les industriels et les banquiers s’inquiétaient de ses jugements. Lui-même investissait à tour de bras, souvent de façon judicieuse, se bâtissant une immense fortune. Il employait comme pigistes Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, George Sand, Honoré de Balzac, Théophile Gautier, Alexandre Dumas …
Élu député à plusieurs reprises (dans la Creuse, le Tarn-et-Garonne, le Bas-Rhin et la Seine), Émile de Girardina traversé les révolutions et les guerres, distillant ses opinions sans ménager personne, nouant et dénouant les alliances. Il s’est créé des ennemis à n’en plus compter, s’est fâché avec ses meilleurs amis et rabiboché ensuite. Il a multiplié les procès et les duels. Le plus célèbre d’entre eux l’a opposé au journaliste Armand Carrel, qui en est mort.
Le salon tenu par sa femme Delphine, autrice de talent, tant dans ses chroniques impertinentes que dans ses pièces de théâtre, était couru. À cet égard, cette belle biographie aurait pu s’intituler Émile et Delphine de Girardin, tant « La Muse » a joué un rôle capital dans la carrière de son mari. Même si Émile se montrait rarement dans « son » salon, toujours appelé par quelque affaire urgente à régler ou une maîtresse à satisfaire. Il en eut beaucoup, dont certaines célèbres – Marie d’Agoult ou la comédienne Rachel.
Fils illégitime d’un général d’Empire, héros d’Austerlitz, rallié aux Bourbons, il a porté le nom de Delamothe, avant d’obtenir le droit, à l’âge de 21 ans, de prendre le nom de son géniteur. Quant à sa date de naissance, elle a varié selon les nécessités électorales. Trop jeune pour se présenter à la députation dans la Creuse, il n’hésite pas à réunir un aréopage qui consent à le vieillir de quatre ans, sans crainte du parjure. En fait, il est né en 1802, comme Hugo ; il mourra en 1881, ce qui lui permit de couvrir l’essentiel des événements du siècle, tout en changeant d’opinion en fonction de ses intérêts et de l’état de la météo politique.
Surtout, Émile de Girardin a inventé la presse moderne, multipliant les innovations éditoriales, marketing, publicitaires ou techniques. Son premier journal, bien nommé « Le Voleur », consistait à piller sans vergogne les articles des autres. Son coup de maître reste la création, en 1836, de « La Presse », journal vendu à prix cassé, qui connut un foudroyant succès. L’idée était de rattraper le manque à gagner par l’introduction d’une publicité massive traitée à égalité avec le rédactionnel. Pour fidéliser son lectorat, il inventa le roman-feuilleton dont les auteurs étaient Dumas, Balzac. Les Mémoires d’Outre-Tombe y furent publiées en avant-première. Pendant douze ans, jusqu’en 1848, une chronique mondaine signée d’un mystérieux Vicomte, fait grimper les tirages du jeudi. C’est drôle, vachard, puisé aux meilleures sources. Et c’est Delphine de Girardin qui tient la plume…
Émile de Girardin, le Napoléon de la presse, de Adeline Wrona, éditions Gallimard, 255 pages, 22 €