Énergie : le gouvernement est dans le noir

par Gilles Bridier |  publié le 29/04/2025

Les débats sur l’énergie tournent à la caricature politique, alors qu’il s’agit d’un choix de société pour le siècle en cours.

Suite au lancement de la consultation sur la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE), la ministre déléguée à l'Énergie, Olga Givernet, visite la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, le 08/11/24. C'est l'occasion d'évoquer le programme de rénovation et l'augmentation de la production nucléaire à l'horizon 2030. (Photo Bertrand GUAY / AFP)

Alors que le pouvoir se paie de mots en parlant d’indépendance et de décarbonation de l’énergie, le gouvernement est incapable de fixer une ligne à sa politique énergétique. Otage des partis tout à leur manoeuvres, il manque de détermination pour établir un plan de marche en cohérence à long terme.

En théorie, l’objectif consiste toujours à réduire la part des énergies fossiles de 60% aujourd’hui à 30% en 2035 pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais le contexte a profondément évolué depuis l’élaboration de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui, en 2019, prévoyait que la part du nucléaire dans le mix électrique ne serait que de 50% dans dix ans, ce qui impliquait la fermeture de 14 réacteurs nucléaires. Tout est chamboulé, la France de l’énergie navigue à vue, une nouvelle PPE s’impose. Plus question de réduire le parc nucléaire. Au contraire, le Conseil de politique nucléaire de mars dernier a fixé comme objectif la construction de six nouveaux réacteurs EPR, dont le premier devrait être opérationnel en 2038, et de huit autres ensuite.

La gauche et la droite s’affrontent. Les écologistes défendent la primauté des énergies renouvelables. La droite et l’extrême-droite veulent pousser le nucléaire, réclamant un débat à l’Assemblée sous peine de déposer une énième motion de censure. Résultat, un hémicycle quasiment vide le jour du débat, au prétexte que, coupant la poire en deux, le gouvernement avait programmé un débat… sans vote. Un coup d’épée dans l’eau! Et un premier ministre qui reporte à nouveau à la fin de l’été la publication d’un décret initialement prévu plus tôt, après un débat à l’Assemblée d’une proposition de loi vers la mi-juin. S’il tient jusque-là…

Pourtant, les faits sont têtus. Si elle veut redynamiser son industrie tombée à 10% du PIB, la France doit pouvoir compter sur une énergie adaptée à ses besoins, et donc pilotable, explique Louis Gallois, qui fut directeur général de l’Industrie et commissaire général à l’investissement. Intermittentes, les énergies renouvelables ne peuvent satisfaire à ces contraintes. Largement fondé sur le gaz russe, le modèle allemand n’est plus d’actualité, compte tenu des retournements géopolitiques et de son inadaptation à la transition énergétique. Et la fragilité des alliances – même transatlantiques – justifie la quête d’une plus grande indépendance.

Dans ces conditions, pour disposer d’une énergie décarbonée, comme le réclame la gauche, le retournement de doctrine vis-à-vis du nucléaire se justifie, comme le soutient la droite. Mais pas question de se retrouver prisonnier d’une seule technologie, extrêmement contraignante et par ailleurs difficile à mettre en oeuvre comme on a pu le constater à la centrale de Flamanville : l’EPR qui vient seulement d’être raccordé au réseau a été construit en 17 ans au lieu de cinq et a coûté plus de 12,4 milliards d’euros au lieu des 3,3 milliards prévus. Une succession de décisions déplorables et d’une guerre des chefs au début des années 2000 a fait perdre à la France son excellence dans le nucléaire. Il convient de la retrouver, mais pas d’en être captif quel que soit le prix d’un développement raisonné des énergies renouvelables.

Un modèle énergétique implique un choix de société. Mais les paramètres sont têtus. Les utilisations de l’électricité vont se développer avec l’émergence d’un parc automobile électrique, la mise en place de data centers très énergivores, et la nécessaire renaissance industrielle sans laquelle la France s’appauvrira. Les besoins en électricité augmenteront de plus de 50% avant 2100, alors qu’une partie des réacteurs du parc actuel arriveront en fin de vie au milieu du siècle. On voit mal les énergies renouvelables assurer seules le relais. L’ensemble de ces paramètres impliquera de construire quelque deux fois plus de nouveaux réacteurs nucléaires qu’envisagés aujourd’hui. Sans écarter les énergies vertes qui ont toute leur place, mais en imaginant un mix énergétique réaliste et non caricatural. Et en définissant un cadre, une PPE qui soit une boussole pour les investisseurs et les industriels .

Gilles Bridier