Enfances brisées, enfances ignorées

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 26/02/2025

Bien plus souvent qu’on ne croit, les mineurs sont victimes de pédophilie, d’inceste, de violences physiques et sexuelles ou d’abandon. Il est temps de passer de la déploration aux actes.

M. et Mme Vinet regardent un portrait de leur petit-fils Mathis, victime du chirurgien Joël le Scouarnec quand il avait 10 ans, le 3 février 2025. Il est l'une des 300 victimes, pratiquement toutes mineures, qui ont été agressées sexuellement. Mathis est décédé d'une overdose en 2021. (Photo de Guillaume SOUVANT / AFP)

Encore une actualité sinistre : le procès Le Scouarnec, du nom de ce chirurgien accusé de viols et d’agression sexuelles sur 299 victimes, âge moyen 11 ans à l’époque des faits, suscite l’indignation. Comment ce pédocriminel a-t-il pu poursuivre ses méfaits pendant 25 ans en toute impunité, malgré des signalements aux autorités ? L’accusé a reconnu la plupart de ses crimes ; la société est en état de sidération. Dès lors, la question se pose : que fait l’État pour protéger les enfants ?

Les faits monstrueux découverts à l’occasion de ce procès ne sont que la partie immergée de l’iceberg. Les chiffres sont implacables. Quelque 10% des enfants subissent un jour ou l’autre un inceste. Dans chaque classe française, il y a donc deux ou trois mineurs à qui un parent impose des relations sexuelles. Un silence pudique recouvre cette réalité, mise à jour très officiellement par la CIIVISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants). Son président, le juge Edouard Durand, loué pour son dévouement à la cause, a été congédié et la commission réduite à peau de chagrin. La vérité gênerait-elle ?

Le scandale de Bétharram est là pour rappeler qu’une omerta couvre ces agissements abjects. Ce sont 140 plaintes, dont 70 à caractère sexuel, qui ont déjà été enregistrées, émanant d’anciens élèves de cet établissement catholique. Combien d’autres n’osent pas parler ? Combien y en a-t-il ailleurs, qu’il s’agisse d’école privée ou publique ? Les inspections ne détectent pas l’indicible. L’horreur reste cachée, couverte par la société.

Aucune institution en rapport avec les enfants n’est indemne de comportements déviants. Dans le sport, un voile vient d’être levé sur la manière dont certains entraîneurs abusent de leurs protégés. Quelques athlètes ont eu le courage de raconter leur terrible passé et d’affronter leurs agresseurs qui ont été condamnés. Là aussi, les contrôles devraient être plus poussés et les mineurs particulièrement protégés. Trop souvent, ils n’osent pas parler, écrasés par la peur de mettre en danger leur avenir et par leur hésitation à dénoncer leur coach admiré.

Et que dire de l’ASE (Aide sociale à l’enfance) ? Les témoignages – et les statistiques – se multiplient pour dénoncer un système supposé recueillir et aider les jeunes placés là par le malheur familial et qui se révèle être une machine à broyer les êtres. Beaucoup de mineurs sont victimes de maltraitances et de violences, puis abandonnés, le jour de leur majorité, sans formation propre à leur intégration, rejetés dans un monde hostile et inconnu. On s’étonne ensuite qu’ils puissent tomber dans la délinquance.

Il n’y a même plus de ministère dédié à l’enfance. Face à cette bévue commise lors de la formation du dernier gouvernement, et la colère qui s’en est suivie, il a été décidé de créer un Haut-Commissariat à l’enfance, rattaché au ministère tentaculaire de Catherine Vautrin. Institué par un décret du 10 février dernier, il n’a toujours pas de titulaire. Il reste à espérer que le choix du Haut-Commissaire se fera sur une forte personnalité, capable de secouer la conjuration du silence. Voilà une cause qui mériterait un plan d’envergure, sans attendre la prochaine présidentielle…

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse