Enrayer la surpêche, c’est possible
Quand les bancs de poissons sont traqués par satellites, les captures dépassent nécessairement la capacité de reconstitution des espèces. De bonnes pratiques existent, mais elles sont ignorées.
Le refrain est connu : « Notre maison brûle, et l’on regarde ailleurs ». Tout comme la production de pétrole culmine alors qu’il faudrait s’extraire des hydrocarbures, la surpêche au rythme actuel condamne certaines espèces et met en péril les équilibres de la vie sous-marine. Le Sommet de Nice sur l’océan l’a souligné : 90% de la grande faune sous-marine a disparu, et le tiers des stocks de poissons dans le monde est surexploité. Or, l’enjeu est simple : la capacité pour les générations futures à se nourrir.
Personne ne l’ignore, et pourtant la pêche industrielle déploie des techniques de plus en plus prédatrices qui gaspillent la ressource. À quoi aura-t-il servi d’envoyer à la casse des bateaux d’artisans pêcheurs au nom de la protection de la ressource, si c’est pour laisser des bateaux-usines traîner des filets dérivants longs de plusieurs dizaines de kilomètres ou râcler les fonds marins à l’aide de chaluts géants aveugles à ce qu’ils détruisent, éventuellement en envoyant un courant électrique dans les chaluts (une technique interdite dans l’Union européenne) ?
Le total des pêches mises sur le marché avoisine 80 millions de tonnes par an dans le monde, mais un quart des prises sont rejetées en mer, en pure perte, alors que des techniques plus sélectives existent. Les sonars, suivis aériens ou satellites de géolocalisation laissent peu d’issue aux bancs de poissons. Et au-delà de la limite des 200 milles nautiques, dans les eaux internationales, la ressource est considérée comme un bien commun que tout le monde peut exploiter.
Certes, à la conférence de l’ONU, Emmanuel Macron s’est félicité que le traité sur la haute mer puisse être mis en œuvre après sa ratification par soixante pays. Mais quels seront les moyens pour le faire respecter sur toutes les mers, par exemple par les État-Unis qui ont déjà averti qu’ils ne le signeraient pas, ou par la Chine à la tête de 15% de la flotte industrielle mondiale ? Notons que Pékin, toutefois, s’est donné jusqu’à la fin de l’année pour ratifier.
Il existe malgré tout des zones où la démographie des poissons progresse, comme en Europe grâce à la politique commune de la pêche, souligne l’Ifremer. Alors que 90% des populations de poissons de l’Atlantique nord étaient surexploitées dans les années 1990, elles ne seraient plus que 30% aujourd’hui, estime l’institut.
Des pratiques vertueuses sont donc possibles. Le stock d’anchois, un temps sinistré dans les années 1980, s’est reconstitué. Mais il reste critique à cause de l’utilisation de cette espèce pour nourrir les poissons d’élevage. Après l’effondrement des captures de cabillaud (le roi du « fish and chips ») au large de Terre Neuve et un moratoire de trente ans, la pêche a pu reprendre en 2024, même si les stocks ne sont pas encore reconstitués. Mais en Méditerranée, près de 90% des populations restent surexploitées. Conséquences, les quantités de poissons pêchées ont baissé d’un tiers en 25 ans. En mer Baltique et mer du Nord, la pression sur la ressource halieutique ne baisse plus. Dans l’Arctique, la pêche intensive du krill menace la survie des espèces qui s’en nourrissent. En Atlantique, les captures de thon rouge se poursuivent malgré les quotas instaurés pour sauvegarder une espèce décimée à 85%…
Pour les experts de la FAO, agence des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la situation est devenue critique pour un tiers des populations de poissons dont les captures épuisent les stocks plus vite qu’ils ne se reconstituent. Au point que, aujourd’hui, l’aquaculture reste la seule voie possible pour répondre à la croissance des besoins. Sa production dans le monde dépasse le total des volumes pêchés en mer, et le cap des 100 millions de tonnes de poissons d’élevage devrait être atteint en 2027, estime la FAO. Un essor qui pose le problème du caractère durable de ces productions, à cause, entre autres, de leurs besoins en farines de poisson provenant des captures d’anchois ou de sardines…