Entraîneurs et prédateurs

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 22/10/2024

Espoir du tennis français, Angélique Cauchy s’est fait violer par son entraîneur entre ses 12 et 14 ans. Elle raconte ce cauchemar pour qu’aucun autre jeune sportif ne vive ce scandale. Un enfant sur sept en est victime.

Angélique Cauchy (capture d'écran FRANCE 24)

Une expérience vécue en dit parfois beaucoup plus long que toutes les théories. Tout au long d’un livre poignant, « Si un jour quelqu’un te fait du mal… » (Stock), Angélique Cauchy égrène toutes les horreurs que vivent filles et garçons livrés à des prédateurs, leur entraîneur en l’occurrence : emprise, honte, douleur, secret, humiliations, traumatisme. Dans un ouvrage bouleversant écrit à la première personne, l’ex-championne de tennis en herbe nous fait vivre l’envers- enfer du décor : comment on n’ose pas refuser les attouchements de celui qui doit vous mener vers le succès, comment on cache à sa famille que son entraîneur vous viole régulièrement, comment on serre les dents jusqu’au jour où on parvient enfin à s’échapper. Avant de se taire encore longtemps.

Elle a fini par dénoncer son tortionnaire, l’entraineur de tennis Andrew Geddes, qui lui a fait subir plus de 400 viols et abus sexuels en deux ans. Après des épisodes judiciaires éprouvants, où la victime a dû regarder en face son bourreau des heures durant, la Cour d’Appel de Versailles a condamné ce dernier le 13 janvier 2021 à 18 ans de réclusion criminelle. Sa victime a aujourd’hui 37 ans. Elle est professeur d’éducation physique mais s’est mise en disponibilité pour s’occuper de son association Rebond, créée pour sensibiliser responsables et familles à ce phénomène effarant. Si elle affirme qu’on « ne guérit jamais » d’une relation aussi toxique, elle trouve l’énergie de se battre pour épargner ce sort aux jeunes sportifs.

Comment empêcher un mal endémique ? Un enfant sur sept est victime de violences sexuelles dans le monde du sport. Le tennis est particulièrement atteint, puisque c’est un des sports le plus pratiqué. « Avec 500000 enfants, cela veut dire, statistiquement, que près de 80000 d’entre eux sont touchés. Et on ne dénombre que 130 signalements depuis la création de la plate-forme de signalement. Cela n’a rien à voir avec la réalité ! », déplore Angélique Cauchy. Elle reproche à la Fédération française de tennis son immobilisme : « Ils sont d’une inertie hallucinante. Ont-ils vraiment envie que cela change ? »

Certes, des affaires commencent à être instruites. L’une d’elle vise un haut responsable du tennis dans les Hauts de France. La plaignante a révélé son histoire 20 ans après les faits. Elle avait 13 ans. L’homme de 54 ans, conseiller technique régional, a été mis en examen pour viol sur mineure par le parquet de Paris. Une autre concerne l’ex-entraîneur de la joueuse professionnelle Fiona Ferro : une ordonnance de mise en accusation devant la cour criminelle du Var a été rendue à son encontre pour viol. Les bouches commencent donc à s’ouvrir, mais le mouvement est lent.

Le milieu sportif n’y met pas du sien. Le pédigrée des bénévoles n’est pas contrôlé pour sonder leur honorabilité. Pas plus que celui des professionnels du foot, du rugby ou du tennis : ni Didier Deschamps ni Fabien Galthié ni Paul-Henri Mathieu ne sont enregistrés au fichier national des éducateurs sportifs qui permet de vérifier s’ils ont un casier judiciaire. C’est pourtant une obligation légale. Angélique Cauchy dénonce ces manquements et, inlassablement, va se faire la porte-parole des sans-voix, incitant les mineurs à parler. Comme elle demande aux parents de se montrer vigilants. Et aux autorités d’être intraitables. Cette fabuleuse avocate de la cause a reçu les encouragements du nouveau ministre des Sports. Il l’a félicitée pour son action et a promis de subventionner Rebond. Par ces temps de disette budgétaire, un gage de bonne volonté.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse