Éric Lombard, le funambule de Bercy

par Valérie Lecasble |  publié le 12/01/2025

Le ministre des Finances est au cœur des négociations destinées à éviter la censure du budget 2025. Les discussions sont en bonne voie à gauche, mais il doit s’imposer à la classe politique, lui qui n’est pas du sérail. Son habileté intellectuelle suffira-t-elle ?

Eric Lombard pose lors d'une séance photo à Paris le 4 décembre 2017. Lombard venait d'être choisit par l'Elysée pour être à la tête de l'institution financière du secteur public français « Caisse des Dépôts ». (Photo de JOEL SAGET / AFP)

Il a l’atout de son handicap : Eric Lombard n’est pas un homme politique. Il n’a jamais été élu, il n’a concouru à aucune élection, il n’a pas tenu le devant de la scène, il n’a pas cherché les feux de la rampe. Ni ministre ni député, ni même maire ou conseiller municipal, il n’appartient à aucun parti politique : il a toujours conservé sa liberté. Autrement dit, lorsqu’il accepte avec bonheur de devenir le patron de Bercy dans le gouvernement de François Bayrou, quoique de sensibilité de gauche, il ne trahit rien ni personne ; le Premier ministre ne peut pas le revendiquer comme une prise de guerre, et c’est ce qui fait sa force.

« Toute personne qui quitte son camp s’affaiblit », commente un vieux briscard de la politique. Éric Lombard n’est pas fait de ce bois-là ; il est homme de convictions. L’une d’entre elles ? C’est avec la gauche et non le Rassemblement National qu’il peut faire voter un budget 2025 équilibré et non-censuré.

Dès l’âge de 28 ans, à son retour de la banque Paribas en Asie qu’il a intégrée à sa sortie d’HEC, il se passionne pour la réflexion politique. Il entre dans le cercle de Michel Rocard et participe à la rédaction de sa lettre Convaincre et à l’animation de son réseau. Il se lie d’amitié avec Michel Sapin qui pilote le courant rocardien au sein du Parti socialiste.

Lorsqu’en 1988, François Mitterrand se résout à nommer Michel Rocard à Matignon, ce marin, barreur de beaux voiliers, rejoint le ministre de la Mer, Louis Le Pensec, également porte-parole du gouvernement, ce qui lui donne dès l’âge de 30 ans une vision globale des enjeux politiques. Curieux de tout, à l’écoute des moindres opinions, Éric Lombard excelle dans l’art de la réflexion et la recherche du compromis.

Quand Edith Cresson remplace Michel Rocard à Matignon, son ami Michel Sapin, nommé ministre délégué à la Justice, l’appelle ses côtés comme conseiller politique. Même si la Justice n’est pas son domaine de prédilection, Eric Lombard assure les relations avec le courant rocardien du Parti socialiste. Il participe aussi à l’élaboration de la grande réforme pénale du ministère, tout particulièrement attaché à remplacer le mot « inculpé » qui donne le sentiment d’être présumé coupable, par celui de « mis en examen », plus neutre et qui permettra au justiciable d’avoir accès à son dossier tout en questionnant la Justice. « Nous avons travaillé ensemble à chercher quel serait le bon mot », se souvient Michel Sapin.

Le gouvernement d’Édith Cresson ne dure pas, Pierre Bérégovoy la remplace à Matignon tandis que Michel Sapin récupère Bercy. Eric Lombard exulte : le voici conseiller spécial pour mener aux côtés du ministre les grandes batailles monétaires, du traité de Maastricht et de l’euro. La confiance entre les deux hommes s’approfondit.

Lors des élections législatives de 1993, la gauche subit une défaite historique. Chacun retourne au bercail ; celui d’Éric Lombard s’appelle Paribas, jusqu’à devenir PDG de la filiale d’assurance BNP Paribas Cardif, dont la taille triple sous sa direction. En 2013, il passe à la direction de Generali avant d’être nommé quatre ans plus tard patron de la Caisse des Dépôts par Emmanuel Macron qui vient de remporter l’élection présidentielle.

Modeste, presque timide, Eric Lombard donne parfois un sentiment de distance, qui est moins une marque de supériorité que de respect de l’autre. Proche de Laurent Berger, il cultive une humanité qui en fait un chef d’entreprise soucieux de dialogue social. Empathique, il sait valoriser le travail de chacun, ce qui lui épargne les critiques que la gauche adresse souvent aux patrons. Pour autant, il défend la politique de l’offre d’Emmanuel Macron qu’il ne reniera pas. Prudent, Lombard aime comprendre et chercher le compromis. Alexis Kohler l’apprécie, ce qui lui garantit un lien avec l’ Élysée. Il connaissait peu François Bayrou mais entre les deux hommes, le courant est passé.

Pour éviter la censure du budget, réussira-t-il le grand écart ? Il devra contenter l’aile gauche de l’Assemblée nationale sur ses revendications sociales sans froisser son aile droite sur ses exigences économiques. Pour arriver à bon port, les marins ont appris à louvoyer…

Valérie Lecasble

Editorialiste politique