Et la digue de la justice céda…
Le 27 juin, la Cour Suprême américaine a rompu l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis. En interdisant aux juges fédéraux de ralentir, suspendre ou stopper une mesure présidentielle, elle consacre la primauté de l’exécutif.

L’histoire de la présidence Trump est aussi celle d’un conflit larvé ou ouvert entre le pouvoir exécutif, c’est-à-dire le président lui-même, du fait de l’obéissance d’une équipe gouvernementale choisie sur ce seul critère, et le pouvoir judiciaire, avec un Congrès ayant abdiqué ses responsabilités.
De facto, si les médias ou les universités demeurent des contrepouvoirs plus ou moins forts aujourd’hui, malgré la pression incessante qu’ils subissent, la justice est aujourd’hui pour Trump le seul réel obstacle institutionnel. À cet aune, l’arrêt de la Cour Suprême représente une victoire majeure pour le monde MAGA. Trump lui-même ne s’y est pas trompé en célébrant à son de trompe cette décision, qu’il a qualifiée de « grande victoire » lui « permettant de mettre en place sa politique ».
Ce renforcement de l’exécutif avait été théorisé et promu par le think tank conservateur Heritage Foundation, qui avait proposé ou approuvé tous les juges nommés par Trump à la Cour Suprême lors de son premier mandat, depuis lors à majorité conservatrice. Le même institut était l’auteur du « project 2025 », devenu la plateforme programmatique de Trump lors de l’élection de 2024, malgré ses dénégations…
Cette latitude conférée au pouvoir exécutif est d’autant plus précieuse au président que l’économie américaine s’enfonce dans la crise, que les rodomontades de Trump, mêlées à des accusations absurdes selon lesquelles les mauvais chiffres seraient ceux de Biden, ne suffisent plus à masquer. Il est probable que des initiatives radicales soient prises dans les prochaines semaines sur le thème de l’immigration, matrice du trumpisme, pour « marquer le coup » sans craindre d’être bloqué par un quelconque « juge radical cinglé d’extrême-gauche » comme Trump aime qualifier tout juge qui ne lui est pas complètement inféodé.
Pour la démocratie américaine, il s’agit d’un tournant majeur. La croyance quasi religieuse dans les institutions et dans la « sagesse des pères fondateurs » était sans doute illusoire. In fine, le système américain reposait sur des normes juridiques et sur la certitude que le président souhaitait avant tout « protéger et défendre la Constitution des États-Unis », comme le dit le serment prononcé lors de son investiture. En défiant ouvertement les décisions de justice, Trump a fait exploser ces règles comme aucun de ses prédécesseurs, eux aussi parfois frustrés par les juges, mais qui se conformaient à leurs arrêts, fût-ce de mauvaise grâce.
Dans ce tableau inquiétant, une seule consolation surnage : avec cette décision de justice, le roi est paradoxalement nu. Trump ne pourra plus s’abriter derrière ces fameux juges honnis pour justifier des résultats insuffisants, sur l’immigration ou sur d’autres sujets.
Mais dans une réalité politique et médiatique qu’il peut façonner, y compris avec des mensonges éhontés, cet obstacle pourra être facilement contourné, et le plus probable est la mise en place de mesures radicales « visibles », comme la remise en cause du droit du sol (« Birthright citizenship ») ou la mise en scène d’expulsions massives d’immigrés incluant la séparation des familles. Il est probable que ces mesures provoqueront une confrontation de plus en plus forte avec les états et les villes démocrates qui se refuseraient à appliquer la politique de Trump, a la grande satisfaction de ce dernier, qui pourra ainsi souder sa base contre l’ennemi intérieur démocrate honni.
La digue de la justice vient de céder. Il revient désormais à celle des états de prendre le relais et de jouer tout le rôle qui lui avait été dévolu par les pères fondateurs, dans la mise en place de l’état fédéral. Cette nouvelle bataille, dont le bras de fer avec la Californie n’aura été qu’une mise en bouche, démarre aujourd’hui.