Et si on dépensait mieux ?
Les uns veulent réduire le déficit d’urgence, les autres dénoncent des coupes budgétaires néfastes aux plus modestes. Mais personne ne pose la question de l’efficacité de la dépense.
Passe d’armes assez classique entre droite et gauche autour du budget 2025 présenté par Michel Barnier. La droite veut réduire la dépense ; la gauche fustige des économies « antisociales ». Rien de vraiment neuf, sinon cette découverte qui pimente la discussion : on n’a jamais vu un gouvernement se tromper à ce point sur ses prévisions budgétaires. Comme le dit Michel Sapin pour LeJournal.Info : il y a forcément eu tricherie quelque part.
Mais ce faisant, personne ou presque, qu’il s’agisse de réduire ou d’augmenter les dépenses, ne pose la question dérangeante : cet argent public est-il bien employé ? Depuis les années 1980, la proportion des dépenses publiques dans le PIB est passée de 50 à 58% et le nombre des agents de la fonction publique de 4,5 millions à 5,5 millions. Pourtant l’insatisfaction à l’égard des services publics règne. Souvent à juste titre : on pointe avec raison la crise de l’hôpital public, le manque de moyens des écoles dans de nombreuses zones, l’insuffisance des effectifs de la justice et de la police, etc. N’y a-t-il pas un « bug » quelque part ?
La France déteint un double record : celui du coût de l’intervention publique, supérieur à celui de tous les pays développés, celui du mécontentement qu’elle suscite. Certes les besoins sociaux croissent, certes cet État-providence fait de la France un des pays les moins inégalitaires du monde, certes les étrangers sont toujours surpris par l’étendue et la qualité de la protection prodiguée à la population par la puissance publique. Et contrairement à ce que clament partout les libéraux, l’importance de la dépense publique découle aussi d’un choix démocratique et légitime en faveur de l’intervention collective, c’est-à-dire d’une société moins dure aux faibles.
Mais tout de même… N’est-ce pas aussi le rôle d’une gauche intelligente que de s’interroger sur le rendement social de ces dépenses record ? N’est-ce pas son devoir, une fois qu’elle a établi des prélèvements de tous ordres, de s’inquiéter de leur bon usage ? Si l’on cherche un peu, il y a fort à parier qu’on détectera dans le fonctionnement de l’État, et de l’État social, des mauvaises organisations, des doubles emplois, des exemples d’entropie bureaucratiques qui sont le lot de tous les vastes appareils administratifs. Pas besoin d’aller bien loin, au demeurant : les rapports de la Cour des Comptes regorgent d’exemples de mauvaise gestion des deniers publics.
L’État en est lui-même conscient, puisqu’on lit sur le site Vie-publique.fr, émanations des services du Premier ministre le diagnostic suivant : « Contrairement à certains pays comparables, aucune véritable réflexion stratégique n’a été menée sur le périmètre des administrations, la hiérarchisation de leurs missions et un redéploiement des dépenses sociales vers les services publics les plus essentiels – au risque d’une paupérisation des grands services publics. » Au sein d’un État qui comprend des corps de contrôle, des instances de réflexion d’excellente qualité et des escouades de hauts-fonctionnaires surdiplômés, le constat est terrible, d’autant qu’il vient de l’intérieur. La gauche défend à juste titre l’intervention de l’État, qui souligne à juste titre son importance dans le maintien des équilibres sociaux. Mai devant les contraintes incontournables nées de l’endettement du pays et des risques systémiques qu’il lui fait courir, il est temps qu’elles réfléchisse à son efficacité.