États-Unis : c’est la gauche identitaire qui a perdu
Le Parti démocrate n’a pas su se défaire de son image de porte-parole des seules minorités et des innovations sociétales. Trump a parlé à tous les Américains de grandeur et valeurs traditionnelles. D’où sa victoire.
Par Sébastien LÉVI
En 2012, après la réélection de Barack Obama, les analyses parlaient d’une majorité électorale permanente pour les démocrates. Dans un pays ou les Blancs seront minoritaires à partir de 2040, on pensait alors que la coalition entre les femmes, les Blancs éduqués, les jeunes, les Noirs, les Hispaniques et les Asiatiques permettrait aux démocrates de l’emporter indéfiniment.
Cette croyance était tellement ancrée que le Parti républicain commandita alors une « autopsie de son échec électoral » restée célèbre mais sans effet. L’étude conseillait au GOP de se tourner à son tour vers les minorités ethniques avec une plateforme plus inclusive.
La victoire de Trump en 2016 fut un choc. D’abord en raison de sa personnalité et de sa rhétorique si particulière, naturellement, mais aussi parce qu’elle prenait le contrepied exact de l’analyse de 2012. Indifférent aux analyses savantes, Trump exploita au maximum le vote blanc des classes populaires déclassées par la mondialisation et inquiètes devant l’évolution sociétale et culturelle des Etats-Unis.
Si l’élection de 2020 a pu laisser penser que les démocrates pouvaient de nouveau compter sur une nouvelle coalition pérenne, celle de 2024 vient enterrer cette idée selon laquelle la démographie assurerait aux Démocrates une majorité quasi-automatique.
L’analyse des résultats montre en effet que Trump est parvenu à enregistrer des gains notables auprès des jeunes, mais aussi des Hispaniques ou des Asiatiques. Même le « gender gap », avec un vote des femmes cense être massivement favorable a Harris, a été bien moindre que ce qui avait été annoncé (53-45 pour Harris).
C’est auprès des minorités et des femmes que l’érosion de Harris vs Biden (75 millions de voix contre 81 millions) a été la plus notable, bien plus qu’auprès des Blancs éduqués des grandes villes. S’il importe de ne pas exagérer l’ampleur de la victoire de Trump (77 contre 75 millions), le fait qu’il soit le premier républicain à remporter le suffrage populaire depuis 2004 est significatif.
Le Parti démocrate, en difficulté auprès des classes populaires blanches peu éduquées depuis plusieurs élections, ne peut plus compter sur les femmes ou sur un électorat de minorités pour l’emporter. Le concept de « majorité de rechange » mis en avant par Terra Nova en France, qui suggérait à la gauche de se détourner des classes populaires et du social pour se concentrer sur les jeunes et les minorités a eut un véritable écho aux Etats-Unis, avec les mêmes résultats…
Le problème n’est pas tant que le Parti démocrate serait aujourd’hui un parti clientéliste identitaire sur le modèle de LFI. C’est qu’il est perçu comme tel, malgré des politiques s’adressant à tous (et bénéficiant à des populations ne votant jamais démocrate), et en dépit d’une campagne Harris globalement « généraliste ». Ce problème de perception est dû autant aux attaques des républicains qu’a l’incapacité des démocrates à y répondre, de peur de froisser leur base électorale.
Pour les minorités et les jeunes comme pour l’ensemble de l’électorat, l’économie et la maîtrise de l’immigration étaient les priorités de cette élection. La vision d’un parti « arc en ciel », aussi erronée soit-elle, a pu détourner des électeurs lassés d’être vus à l’aune de leur couleur de peau ou leur âge, et non à celle de leurs attentes économiques. Lorsque Kamala Harris parla d’un plan économique pour les hommes noirs, elle retomba dans un clientélisme qui heurta jusqu’à ses bénéficiaires.
Sans réponse sur le fond des problèmes économiques et sociaux, le GOP a su exploiter avec talent ce problème de perception du Parti démocrate et se présenter comme le parti de l’économie et des opportunités. Il s’agit ici d’un véritable tour de force, sachant que les positions du Parti démocrate sont le plus souvent en phase avec l’opinion américaine, que ce soit sur l’économie, la fiscalité, l’accès à la santé ou l’éducation,
Pour reconstituer une coalition gagnante, le Parti démocrate ne peut plus compter sur une démographie qui lui serait intrinsèquement favorable. Il doit redevenir ce parti des opportunités économiques et de la justice sociale, pour tous, et surtout le faire savoir pour mettre fin à ce problème de perception dans l’opinion qui lui a coûté la dernière élection.