États-Unis : dix ans de démagogie
En deux décennies, Donald Trump a orchestré une dramatique dégradation de la vie politique de son pays. Sans résoudre aucun des problèmes qui ont favorisé son élection.

Après avoir descendu l’escalator de la Trump Tower sous les vivats de ses fans, Donald Trump annonçait, le 16 juin 2015, sa candidature à la primaire républicaine en vue de l’élection présidentielle de 2016, dans un discours qui devait préfigurer ce que serait le trumpisme et donc, à bien des égards, la politique américaine des années suivantes.
Tous les ressorts du trumpisme étaient déjà là : la vulgarité, l’outrance, la vantardise, le racisme, le populisme démagogique, les mensonges incessants et l’argent comme obsession. A l’époque, il fut brocardé et dénoncé par la classe politique. Celui qui n’était qu’un promoteur immobilier raté – mais un animateur de télé réalité à succès – n’était pas pris au sérieux. Beaucoup pensaient d’ailleurs que cette candidature n’était qu’un coup de publicité destiné à revigorer une popularité chancelante.
Revoir ces images et réécouter ce discours aujourd’hui permet de mesurer le chemin parcouru par les États-Unis en dix ans : dégradation des normes démocratiques mais aussi de la bienséance, de ce que les Anglo-saxons appellent la « common decency » (la décence commune). Ce discours, décrié à l’époque, apparaîtrait d’ailleurs presque « raisonnable » aujourd’hui par rapport aux outrances que Trump, et d’autres dans son sillage, aux États-Unis mais aussi ailleurs dans le monde, se permettent aujourd’hui. En dix ans, le vote Trump est passé de 66 millions de voix en 2016 à 74 millions en 2020 puis à 77 millions en 2024. Seul Biden a fait mieux dans l’histoire américaine, avec 81 millions de voix en 2020. L’affaissement de cette « common decency » a donc fait recette, ce qui interroge le modèle américain.
Alimenté par la rage et le refus des normes, le vote Trump repose avant tout, non pas sur le rejet d’une politique particulière, mais sur le rejet de LA politique et celui du « système » qui a rendu possible l’érosion du rêve américain depuis la révolution conservatrice de Reagan, avec une hausse majeure des inégalités sociales, une hausse des coûts de santé et de l’éducation très supérieure à la hausse des salaires au cours de la même période.
Ainsi, les coûts de santé payés par les Américains en proportion de leur revenu moyen ont triplé entre 1980 et 2020, la part de la richesse nationale détenue par les classes moyennes et populaires est passée de 40% à 20% entre 1983 et 2016, et le prix d’un logement à l’achat équivaut à plus de cinq années et demie de salaire contre trois ans dans les années 1970.
Ironie suprême, Trump a repris le slogan MAGA de Ronald Reagan, dont la présidence a été un facteur explicatif majeur de l’érosion des conditions de vie, dont Trump a su tirer profit.
Ces dix ans de dégradation démocratique sont une mise en accusation des failles du modèle socio-économique américain mais aussi du système politique américain, où le poids de l’argent et des lobbies a empêché des réformes qu’une majorité du public désirait, notamment l’accès à la santé (malgré les progrès de « l’Obamacare ») ou le contrôle des armes à feu.
Paradoxe : s’il a correctement identifié la rage des milieux populaires, Trump, comme tout bon démagogue populiste, n’a jamais voulu résoudre les problèmes qui avaient alimenté cette colère, mais juste surfer dessus et en tirer avantage électoral. Son bilan législatif est d’ailleurs nul, au-delà de baisses d’impôts qui bénéficient qu’aux plus aisés et affaiblissent les programmes sociaux dont dépendent beaucoup de ses propres électeurs…
Dix ans après l’entrée en politique d’un animateur de télé-réalité au discours simpliste et tissé de mensonges, les États-Unis ont été, ce week-end, le théâtre d’une parade militaire à la gloire de cet aspirant autocrate, et de l’assassinat politique d’une élue démocrate et de son mari, reflet d’une polarisation qu’il aura alimentée par des discours mensongers et violents.
En dix ans, les États-Unis sont descendus bien bas. La brutalité, l‘indécence, la corruption, l’ignorance, la polarisation sont devenues la norme, non seulement tolérées mais aujourd’hui revendiquées par un nombre croissant d’hommes et femmes politiques, en particulier au sein du Parti républicain. Si cette évolution se poursuit, où en seront les États-Unis dans dix ans ?