États-Unis-Iran : menace sur les Juifs américains

par Sébastien Lévi |  publié le 22/06/2025

L’attaque des installations nucléaires iraniennes par les États Unis ne marque pas seulement un tournant dans la guerre entre Israël et l’Iran. Elle risque d’avoir des conséquences notables sur la sécurité des Juifs américains.

Début juin, dans le Colorado, une femme dépose des fleurs et un drapeau sur le lieu d'une l'attaque antisémite, où un individu avait lancé des engins incendiaires sur un groupe participant à une marche organisée en solidarité avec les otages détenus par le Hamas à Gaza. Le suspect, un citoyen égyptien dont le visa avait expiré, a été inculpé de crime haineux par le FBI. (Photo Chet Strange / Getty Images via AFP)

La décision prise par Trump, bien avant le délai de quinze jours qu’il s’était donné, n’est pas irrationnelle, et l’attaque d’hier avait d’ailleurs été préparée sous la présidence de Joe Biden avec une simulation grandeur nature effectuée il y a un an. La défaite des proxys iraniens et l’affaiblissement des défenses aériennes de l’Iran ont sans doute décidé Trump à frapper l’Iran maintenant sans craindre des représailles massives.

Comme déjà évoqué dans ce journal par Pierre Benoit, MAGA est profondément divisé sur l’idée même d’une intervention extérieure, et Trump lui-même a toujours critiqué les « guerres lointaines » comme celles d’Irak ou d’Afghanistan, avant même de rentrer en politique. Afin de réconcilier la vision isolationniste « America First » avec ces frappes sur l’Iran, il les présente comme une action ponctuelle et surtout susceptible de mettre fin a la guerre avec une reddition de l’Iran et la signature d’un deal mettant fin au programme nucléaire iranien. En d’autres termes, il invoque l’application d’un autre slogan trumpiste, « la paix par la force ».

La duplicité des Iraniens depuis des décennies n’est plus à démontrer, sur le nucléaire et sur leur soutien aux mouvements terroristes de la région. Elle explique non seulement les frappes mais aussi l’isolement diplomatique quasi-total du régime des mollahs. En revanche, l’intervention des États-Unis dans la guerre risque de rendre toute discussion diplomatique difficile, voire impossible. En manifestant ouvertement leur opposition à une frappe israélienne alors que des négociations avaient lieu entre l’Iran et Steve Witkoff, avant de la soutenir le 13 juin, puis en se donnant une fenêtre de deux semaines pour prendre une décision tout en laissant les Européens (probablement dupés eux aussi) négocier à Genève avec les Iraniens, les Américains sont apparus comme partie prenante de l’effort de guerre israélien, jusqu’à le rejoindre dans la nuit de samedi à dimanche.

Une issue diplomatique à court terme est donc peu probable, par manque de confiance entre les parties, et une escalade est plausible. Si celle-ci devait se concrétiser, elle renforcerait l’aile dure et isolationniste de MAGA, incarnée par Steve Bannon, l’influenceur Charlie Kirk ou la députée Marjorie Taylor Greene, qui ne cessent de pourfendre l’influence israélienne sur la politique américaine.

Il y a dix jours, Trump retweetait un message envoyé par l’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee. Pour ce chrétien évangélique radical, non seulement Trump avait été sauvé par Dieu à Butler (où il avait victime d’une tentative d’attentat), mais c’est aussi Dieu qui guiderait sa main pour protéger Israël. Il est facile de hausser les épaules… Mais le propos de Trump dans son allocution présidentielle a montré que l’influence d’Huckabee n’était pas à négliger dans la décision de frapper l’Iran, avec les phrases « We thank God » et « God bless Israel », qui seront à coup sûr exploités par cette aile MAGA isolationniste d’extrême-droite.

La décision unilatérale de Trump, sans passer par le Congrès et en ne donnant qu’une information parcellaire aux leaders du Parti Démocrate, risque d’écorner encore le soutien à Israël au sein de ce Parti. Il était déjà en baisse depuis l’épisode de l’accord nucléaire avec Téhéran de 2015, où Netanyahu avait défié ouvertement Obama avant de pousser Trump a en sortir en 2018. Le soutien bipartisan à Israël pourrait donc pâtir de cette attaque, surtout si elle conduit à une guerre plus étendue, avec une aile MAGA vent debout sur le fond et un Parti démocrate ulcéré sur la forme.

Pire encore, l’attaque contre l’Iran risque d’apparaître comme un nouvel abus de pouvoir présidentiel, avec Israël comme complice, même involontaire. De la même manière, la lutte contre l’antisémitisme avait servi de prétexte à Trump pour s’attaquer aux universités… Or cet antisémitisme est en très forte hausse aux États-Unis depuis dix ans, et plus encore depuis le 7 octobre. Il pourrait encore s’aggraver avec cette frappe contre l’Iran, aussi justifiée soit-elle, avec les accusations émises par les Bannon, Kirk ou Taylor Greene. En critiquant le rôle d’’une « puissance étrangère » dans la décision américaine de frapper l’Iran, cette aile d’extrême-droite, foncièrement conspirationniste et antisémite, critique en creux les Juifs « fauteurs de guerre » et « agents de l’étranger ».

Les Juifs américains risquent donc demain de continuer à essuyer les attaques d’une extrême-gauche radicalement antisioniste qui flirte avec l’antisémitisme, tout en étant accusés par l’extrême-droite d’avoir poussé les États-Unis à une nouvelle guerre lointaine. Quand on connaît la propension de Trump à ne pas assumer ses responsabilités et à chercher des boucs-émissaires lorsque les choses tournent mal, il faut espérer que cette attaque de la nuit dernière ne conduise pas à une guerre généralisée, pour la stabilité du monde, mais aussi pour la sécurité des Juifs américains.

SEBASTIEN LEVI

Sébastien Lévi

Correspondant aux États-Unis