États-Unis : la mémoire confisquée du 7 octobre

par Sébastien Lévi |  publié le 07/10/2025

Deux ans jour pour jour après l’attaque terroriste, sa commémoration est devenue enjeu politique outre-Atlantique. Pour certains, il ne s’agit plus de justifier le massacre par la lutte des Palestiniens pour leurs droits, mais de nier son existence même.

Flyer pour un rassemblement à l'université Concordia de Montréal.

Sur les campus des universités de McGill ou Concordia à Montréal, mais aussi à New York, les principales manifestations qui auront lieu le 7 octobre ne seront pas des moments de recueillement de souvenir du pogrom commis par le Hamas. Dans un renversement mémoriel inouï, des manifestations célébrant la cause palestinienne « de la rivière a la mer », voyant le 7 octobre comme le début du « génocide des Palestiniens » occuperont le terrain ce jour-là, dans ces deux villes et ailleurs dans le monde.

Le but affiché est clair : effacer l’événement à l’origine de cette guerre de Gaza pour présenter cette dernière, au-delà même de crimes de guerre et d’abus de l’armée israélienne, comme une guerre d’extermination du peuple palestinien. Ce négationnisme permet ainsi de mettre en accusation non pas l’armée israélienne ou son gouvernement, mais l’idée même d’État d’Israël, intrinsèquement criminel pour les organisateurs de ces manifestations du 7 octobre. Cette date si symbolique est, d’une certaine façon, confisquée aux Israéliens et à leurs soutiens, et leur douleur niée. Il est ainsi tristement symptomatique que sur les campus de Montréal, les étudiants juifs ou israéliens, ou simples sympathisants d’Israël, aient dû avancer leur propre rassemblement au 6 octobre, le 7 étant déjà « réservé » par les étudiants officiellement « pro palestiniens » et surtout ici pro-Hamas.

Cette logique de l’effacement symbolique est en ligne avec la doctrine du Hamas qui rejette l’idée même de coexistence et de reconnaissance d’Israël. À cet égard, il s’agit moins d’une lutte pour l’aspiration légitime des droits des Palestiniens qu’une négation de ceux des Israéliens. Cette logique est d’ailleurs partagée par l’extrême-droite messianique israélienne qui nie toute légitimité au récit national des Palestiniens, et qui aspire à leur expulsion massive de Cisjordanie et de Gaza, pour imposer leur vision du « Grand Israël » uniquement pour les Juifs.

Eva Illouz avait justement pointé que les accusations de génocide avaient démarré dès le 8 octobre. Il s’agissait déjà d’une accusation injuste et même infamante, mais l’appropriation de la date du 7 octobre et la négation même du massacre de ce jour-là dans la séquence des évènements marque une nouvelle étape dans l’ignominie. Elle dévoile le véritable dessein chez certains qui n’est pas de défendre les Palestiniens mais de s’en prendre aux Israéliens et par extension aux Juifs.

Les premières victimes de cette appropriation mémorielle sont les Palestiniens eux-mêmes, qui verront ainsi leur combat légitime, à la fois sur la dénonciation des crimes de guerre de l’armée israélienne et leur aspiration nationale, sali par de telles méthodes, et instrumentalisé par l’extrême-droite israélienne. Contre cette alliance objective entre le Hamas et cette extrême-droite israélienne, la reconnaissance mutuelle de l’autre, de ses souffrances et de son récit national, est plus vitale que jamais, au-delà même de l’urgence de la fin de la guerre à Gaza.

SEBASTIEN LEVI

Sébastien Lévi

Correspondant aux États-Unis