États-Unis : le péril jeune
Les démocrates ont certes avec eux les jeunes diplômés des centres urbains. Mais ils votent peu et ailleurs, Trump a l’oreille de jeunes conservateurs aigris. Une jeunesse modérée émerge en outre au centre du panorama politique. Point sur un paysage complexe.
Le 5 novembre, la jeunesse américaine se présentera aux urnes en ordre plus dispersé que jamais. Face aux deux gérontes qui la sollicitaient, elle boudait ou vociférait contre la précarité ou pour la Palestine à Berkeley, Austin ou Atlanta, dans le pré carré des campus, laissant à sa partie la plus ingénue le soin de trépigner au pied des tribunes.
Qu’en est-il depuis l’entrée en campagne d’Harris, plus apte que Biden à appréhender un nuancier où se côtoient l’impétrant blanc du New Jersey, le chômeur noir de Géorgie, l’employé latino des hubs hydrogène ou des champs infinis d’un Midwest qui se réinvente, le désœuvré amer d’une « rust-belt » à l’orée probable d’une reverdie industrielle ?
La population américaine vieillit mais cette évolution n’est pas alarmante. Son âge médian voisine les 38 ans et il n’atteindra pas l’actuel âge médian français de 42 ans avant 2060. Les 18-27 ans représentent aux USA 16% du corps électoral. Seuls 25 à 30% d’entre eux prennent part aux votes (contre 55% de l’ensemble des électeurs), en faveur de candidats dont l’âge moyen frise la soixantaine.
Ils sont majoritairement acquis au Parti démocrate, traditionnellement plus libertaire, décentralisateur, keynésien, soutien de leurs chevaux de bataille (aide sociale, maîtrise de la procréation, respect des différences, modération régalienne, équilibre international, compréhension migratoire, éducation et culture…), et qui a depuis longtemps su faire oublier son passé esclavagiste.
Le chômage engendré par la brutalité libérale incarnée par Trump, ses décisions face au COVID et le raptus du Capitole n’ont pas incité la jeunesse à se rapprocher du Grand Old Party. Harris n’a de cesse de flatter son progressisme, avec le soutien des élus proches de Bernie Sanders, épigones des « boomers » déçus par Obama.
Mais Trump n’est pas sans arguments : en mettant l’accent sur le thème migratoire et les risques de dumping salarial, d’occupation d’emplois, d’émargement privatif aux aides sociales, celui qui a rogné les aides allouables aux travailleurs immigrés depuis le New Deal ou la mandature Johnson sait se faire entendre d’une jeunesse qu’aigrissent le chômage, les difficultés d’accès au logement ou le renoncement contraint aux études. Son maniement effronté des valeurs puritaines séduit les jeunes hispanos catholiques intégrés que flattent en outre ses odes au « self-making ».
Le tableau se complique, depuis quelques années, d’une aspiration « centrale » de la jeunesse croyante, pratiquante ou non, qui se méfie autant de l’autoritarisme cynique du trumpisme que du séparatisme « woke », aspiration dont Harris entend se faire la porte-parole. La partition d’antan en trois groupes, centralisme-fédéralisme-libertarisme, semble avoir fait place, au sein de la jeunesse américaine, à une partition illibéralisme-conformisme-wokisme, d’essence plus socio-économique que proprement politique.
Le processus électoral en cours l’atteste, qui la voit accorder la primeur au dossier économique et social devant lequel elle se divise entre keynésiens, ultra-libéraux hayékiens et modérés compassionnels, entre élites infatuées et marges populaires aigries. Les sept états-clés dont dépendra le résultat de novembre sont sans doute ceux que ces failles traversent avec le plus de force : Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie, Caroline du Nord, Géorgie, Nevada peinent à voir leur jeunesse communier dans un idéal.
Il lui appartiendra pourtant de contribuer à sa mesure à engager ce qui sera bientôt son pays sur une voie libertarienne ou providentialiste, isolationniste à la Hoover ou missionnaire à la Wilson…