Fanon fané
Petit film pour un grand sujet : la vie du militant indépendantiste est racontée de manière classique… et trop militante.

Alors que les actualités grondent des horreurs de guerres coloniales et que les relations entre la France et l’Algérie sont plus que jamais tendues, revenir sur la vie et l’œuvre du psychiatre et psychanalyste Frantz Fanon (1925-1961) paraît fort opportun. Malheureusement, cette figure intellectuelle parfois méconnue en France à cause de ses positions anticolonialistes et de son soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie, fait l’objet d’un film biographique pour le moins perfectible.
Non qu’on passe un mauvais moment devant Fanon, troisième long-métrage du réalisateur d’originaire antillaise Jean-Claude Barny, malgré ses deux heures dix. Mais après coup, à tête reposée, les scories commencent à émerger. Derrière une mise en scène classique, voire classiciste, le récit se fait vite trop didactique. On suit l’affectation du docteur Fanon dans un hôpital psychiatrique du bled algérien en 1953 et ses rapports compliqués avec le directeur, hostile à ses méthodes novatrices, l’armée française en pleine lutte contre-insurrectionnelle et le FNL qu’il soutient. Le tout ponctué de laborieux moments de dictée de son livre Les Damnés de la Terre à sa femme, chargée de le taper à la machine.
Malgré un budget de trois millions d’euros, le manque de moyens bride le film : les décors font un peu toc et seuls quelques lieux de tournage (la villa coloniale, l’hôpital, la campagne) font des apparitions régulières à l’écran. Pour un homme qui a partagé sa vie entre les Antilles, la métropole et l’Afrique du Nord, on se sent à l’étroit. De plus, les dialogues ont un petit air de « La colonisation pour les Nuls » qui donne le désagréable sentiment de voir du théâtre filmé. La suspension d’incrédulité est sérieusement écornée lorsque l’on voit deux affiches « l’OAS veille » tapisser un mur dans l’une des rares scènes en extérieur : l’action se déroule entre 1954 et 1957, et l’organisation d’extrême-droite est créée le 11 février 1961… Par ailleurs, n’attendez pas d’en apprendre plus sur la guerre d’Algérie, les contingents d’appelés, le retour de de Gaulle aux affaires, ou tout autre évènement politique majeur : en se focalisant uniquement sur la pensée et les actes du docteur Fanon l’action occulte tout contexte.
Que retient-on de l’homme, de Frantz Fanon ? L’interprétation d’Alexandre Bouyer, dont il s’agit du premier grand rôle, manque d’incarnation. On peine à croire qu’un homme aussi apprécié par ses patients et ses contacts dans la résistance algérienne puisse avoir été aussi froid et distant avec ses interlocuteurs. Reste un film pour lycéens qui aura pour mérite d’inciter à lire les œuvres de l’intellectuel : c’est déjà ça.
Fanon – de Jean-Claude Barny – avec Alexandre Bouyer, Déborah François – sortie : 2 avril 2025 | 2h 13min