Faure, victoire à l’arraché et à la Pyrrhus
Le spectacle offert par les socialistes n’augure rien de bon pour la gauche, le pays et l’Europe. Seule certitude avant le congrès de Nancy et la reconduction malheureuse d’Olivier Faure à la tête du PS.
On peut toujours se perdre dans la bataille des chiffres, particulièrement baroque, dans un parti qui fait mine d’être encore celui du siècle dernier en termes de structures, de surface sociale, de maillage du territoire et d’habitudes militantes. Personne n’est dupe. Sur ce front, la direction sortante est sans surprise à l’image de ce qu’elle a produit sur le fond. Sans volonté ni capacité de moderniser une vieille structure désuète, permettant certes des habiletés plus ou moins opaques en interne, mais pour quel résultat d’avenir. Le congrès de Nancy, après celui de Marseille, sera une fois encore une occasion manquée.
L’attractivité de la vielle Maison n’en finit plus de s’étioler avec un nombre d’adhérents divisé par trois en sept ans. S’il lui reste des élus et un maillage territorial, essentiellement métropolitain, avec quelques places fortes, le choix acté par les militants reflète surtout lassitude et déni de réalité. La reconduite d’Olivier Faure, bénéficiant du jeu trouble de Boris Vallaud révèle l’incapacité des oppositions à dépasser le plafond de verre.
Les balivernes de la direction sortante sur le renouvellement militant censé assurer un large succès à l’actuel premier secrétaire n’ont pas fait illusion. Derrière ce jeu de postures, on retrouve les stigmates d’une perte d’identité, attribuée à la longue connivence avec les souverainistes et autres populistes marginalisant toute la gauche et ses différentes composantes.
À l’occasion des discussions en aparté, militants comme dirigeants, tous admettent que le parti d’Épinay n’a plus de force de propulsion. La mondialisation acquise, la construction européenne relancée, l’affaissement des services publics, le vieillissement démographique, l’entrée en lice de l’intelligence artificielle ont été autant d’occasions manquées d’adapter un logiciel qui ne peut être décalqué sur celui du programme commun de 1981, à plus forte raison sur celui du Front Populaire de 36 ou sur le Programme du Conseil national de la résistance.
Le monde bouge, change et appelle une mise à jour programmatique qui n’a pas eu lieu. Le XXe siècle et son cortège de crimes, pour ceux qui ont formellement défendu la radicalité à l’image des staliniens ou des maoïstes en niant les droits humains, nous obligent. Peu de socialistes ont cependant eu la trempe de résister au poncif de l’unité à tout prix, confondant le fait de faire face ensemble sans rien abandonner de l’exigence démocratique avec une capitulation qui ne dirait pas son nom. Ils n’ont même pas pu concevoir que l’extrême-gauche des soixante dernières années ne pouvait être assimilée au populisme de LFI, comme en atteste la bascule antisémite opérée par une partie de la meute.
Des laboratoires municipaux existent bien sûr, des politiques urbaines audacieuses produisent des bilans reconnus par les électeurs, mais rien qui ne puisse se substituer à l’absence de travail collectif au niveau national et au-delà. Sans même évoquer l’Europe et la planète, davantage assumée par Place publique et une partie des écologistes. Peut-être les édiles les plus en vue auraient-ils dû prendre davantage de place dans la bataille interne aujourd’hui perdue. À la condition de s’y risquer, de le vouloir et de l’assumer quoi qu’il en coûte, car l’histoire repasse rarement les plats.
Si besoin d’unité il y a, c’est d’abord à l’échelle de la social-démocratie qu’il convient de l’incarner pour aller plus loin. La disparition de grandes figures de la gauche intellectuelle ne saurait en dispenser. L’organisation de Glucksmann, celle de Cazeneuve jouent chacune leur partition. Des écologistes, orphelins d’une pensée complexe, hésitent entre Place publique, rentrer sous la tente et résister encore à la direction Tondelier.
C’est la responsabilité impérieuse de ceux qui viennent de perdre à nouveau, de lancer une initiative publique à leur endroit, sans attendre demain. Personne ne se rassemblera spontanément autour d’une « incarnation » aussi improbable que tardive si la gauche démocratique s’enferme dans une léthargie paresseuse, à portée de gifles de la meute et de ceux qui lui font allégeance en vue des municipales. Hic et nunc en quelque sorte.
Bien sûr, la social-démocratie est en crise en Europe, mais elle le fut si souvent dans la première moitié du XXe siècle. Aux avant-postes de la construction européenne et de l’État providence, elle construisit pourtant un imaginaire collectif progressiste. Ce dernier ne demande qu’à quitter le musée pour s’incarner à nouveau en défense d’une perspective d’émancipation démocratique, sociale, écologique, féministe.
La gauche doit désormais acter des propositions rénovant le modèle d’un État providence national obsolète, penser l’articulation de l’Europe puissante avec un pôle régulateur, humaniste et pacifiste de la mondialisation. En énoncer simplement l’ordre du jour suffit à acter que le toujours secrétaire national du PS n’est pas l’homme de la situation.



