Quand les Mollahs mollissent

par Boris Enet |  publié le 20/12/2024

La chute de la tyrannie des Assad et l’affaiblissement militaire du Hezbollah libanais soulèvent la question de la survie de la dictature des mollahs. Prudemment, il est possible d’espérer pour 90 millions d’iraniens. 

Le guide suprême iranien, Ali Khamenei, avant un discours à Téhéran, le 17 décembre 2024. (Photo de KHAMENEI.IR / AFP)

Difficile d’obtenir des informations fiables en provenance de Téhéran et pour cause. Les groupes d’opposition de la diaspora, exilés au fur et à mesure des vagues de répression, ont vite fait d’annoncer la chute, davantage par volonté que par l’analyse de faits objectifs. 

Néanmoins, la somme des défaites géopolitiques subies en l’espace de quelques mois par la clique de Téhéran, la mobilisation continue d’une jeunesse que la peur n’impressionne plus et la poursuite de sanctions économiques occidentales, constituent-elles un fardeau devenu trop lourd pour le pouvoir ?

Bien sûr, l’appareil de répression iranien est autrement plus organisé et efficient que les petits tortionnaires de Bachar. Avec plus de 850 exécutions au cours de l’année en cours, les Mollahs, le Guide suprême et ses Pasdarans, milice du régime, misent toujours sur la terreur pour écraser la somme des oppositions. Force est de constater que cela dysfonctionne désormais. Auparavant, à la faveur des crises économiques et des mouvements sociaux consécutifs de 2005, 2011 ou 2017, le pouvoir parvenait encore à capter, même partiellement et de manière dévoyée, une part des révoltes à travers l’aile réformatrice du régime, caution formellement « démocratique » de la république islamique. Ce temps est révolu, le taux de participation est famélique. Cette supercherie n’imprime plus dans la jeunesse, qu’elle soit hardiment athée et révolutionnaire, éprise de démocratie, de libertés et d’humanisme ou simplement musulmane réformatrice. 

Longtemps, le pouvoir a aussi utilisé la fragmentation géographique et ethnique de cet immense territoire pour stigmatiser les minorités kurdes du reste de la population. Avec l’assassinat de Mahsa Amini, jeune iranienne d’origine kurde, le 16 septembre 2022, cette stratégie de contournement perd en efficacité face à la coalition des colères pour la dignité. Sans être féministe, sans reprendre le slogan « femme, vie, liberté », nombre de pères, d’hommes de tous âges n’acceptent plus le sort réservé aux femmes de toutes conditions.

Cette perte d’autorité et de contrôle sur des pans entiers de la population, se conjugue à l’affaiblissement idéologique du régime. Humilié par les frappes israéliennes chirurgicales, notamment au printemps dernier et à l’automne, éliminant des cadres militaires des gardiens de la révolution, les mollahs sont dans l’incapacité de tenir le bras de fer imposé par Tel Aviv. 

Étranglé par les embargos successifs et des sanctions tous azimuts, le régime peine probablement à satisfaire une partie de la bureaucratie du régime, dont le libéralisme politique ressurgit à échéances régulières par le biais de ses enfants présents dans les universités. Le rapprochement avec Moscou, à la faveur de l’agression contre l’Ukraine et de la volonté d’apparaître sur la liste surfaite du Sud global, ne trompe personne. Privé de ses proxys au Proche-Orient, Téhéran ne parviendra pas à rétablir son rayonnement d’antan par les houthis yéménites à l’extrémité de la péninsule arabique qui borde la mer rouge. Non seulement parce qu’il ne possède plus de continuité territoriale et pratique mais aussi parce que l’assise des houthis est fragile et sujette à la tolérance du grand voisin saoudien.

Naturellement, le dépérissement final des théocraties et des dictatures, n’est pas une science exacte. L’écroulement des dictatures d’Europe de l’Est à la fin du siècle dernier, surprenait ses contemporains par sa rapidité. L’effondrement du Baasisme a ressemblé à la quête d’un fruit mûr davantage qu’à une véritable campagne militaire. 

Reste évidemment la carte du nucléaire militaire dans la manche du pouvoir, à la condition de pouvoir la jouer. Hautement improbable avec la surveillance d’Israël et l’intronisation de Trump en janvier prochain. La fin de la terreur islamiste en Iran est possiblement en route si l’on en juge par une série d’affaiblissements successifs. A quelle échéance et selon quel rythme ? Le plus tôt sera le mieux pour honorer la mémoire de Mahsa et de tous les autres.

Boris Enet