Europe : une résistance d’acier
Comme dans l’intelligence artificielle, l’armement ou l’automobile, l’Europe se mobilise pour sauver sa sidérurgie.

Pas de souveraineté possible sans acier, au niveau européen et encore plus français. C’est la condition nécessaire pour soutenir l’industrie dans des secteurs importants comme le bâtiment, les transports et aujourd’hui l’armement. Or la sidérurgie européenne, déjà en mauvaise posture, va être encore plus menacée par la pression chinoise suite la hausse des droits de douane décrétée par les Etats-Unis : dans ce contexte, Pékin pourrait réorienter ses exportations sur l’Europe. Jusqu’à présent, une clause de sauvegarde contient les importations chinoises. Mais elle expirera en juin 2026. Se jugeant incapables de rivaliser avec des productions asiatiques subventionnées, les sidérurgistes européens gèlent leurs investissements. Dans l’urgence, les membres de l’Union européenne se réveillent et la Commission travaille à un « plan d’action pour l’acier et les métaux »
Illustrons le rapport des forces. La Chine produit à elle seule plus de la moitié de l’acier mondial, soit cinq fois plus que l’Europe dans son ensemble… et 80 fois plus que la France qui pointe au seizième rang mondial ! Même si l’Allemagne est le principal producteur de l’Union européenne avec un tonnage trois fois supérieur à celui de la France, elle n’arrive qu’en septième position dans le monde. Cette dégringolade de l’Europe dans une activité essentielle est d’autant plus périlleuse que l’excédent des capacités de production mondiale d’acier – surtout chinois – correspond à quelque 300% des capacités européennes qui, aujourd’hui, sont débordées par leur manque de compétitivité notamment à cause du coût de l’énergie. Autrement dit, la sidérurgie européenne pourrait disparaître sans que le monde ne manque d’acier.
Le déclin est entamé : en cinq ans, la production de l’Europe a décliné de 25%. Des sites sont à nouveau menacés de fermeture, comme ceux d’ArcelorMittal à Denain et à Reims, et le sidérurgiste a suspendu ses investissements à Dunkerque, préférant se réorienter sur les Etats-Unis. En République tchèque, la plus grosse unité de production a fermé. En Allemagne, la baisse d’activité de ThyssenKrupp va engendrer une réduction de 40% des effectifs.
Le nouvel isolationnisme des Etats-Unis rebat les cartes du commerce international dans l’acier comme dans maints autres secteurs, et l’Europe ne peut laisser aux seuls marchés financiers et opérateurs privés l’initiative de développer ou non sur son territoire des productions qui participent de sa souveraineté économique et industrielle.
On assiste à un changement de paradigme, non seulement au sein des pays membres mais aussi à la Commission européenne où la toute puissante direction de la concurrence a longtemps fait barrage à toute politique visant à protéger tel ou tel secteur d’activité. Souveraineté technologique et stratégie industrielle ne sont plus des concepts tabous. Après l’intelligence artificielle au coeur de la « boussole de compétitivité » de la Commission, après l’automobile « menacée de mort » en Europe, après le plan à 800 milliards d’euros pour réarmer l’Europe, la Commission européenne opte pour des soutiens sectoriels et adopte une approche moins angélique des relations internationales et de la concurrence mondiale. L’acier devrait entrer dans cette nouvelle dynamique. Confrontée à un « basculement entre deux mondes » comme l’a exprimé François Bayrou, l’Union européenne doit démontrer que la mosaïque de ses 27 membres est capable d’exprimer une puissance pour l’instant théorique.