Financer la défense d’un nouveau monde

par Gilles Bridier |  publié le 04/03/2025

Les Français devront consentir de nouveaux efforts, même si un grand emprunt européen va venir à la rescousse.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen donne une conférence de presse sur le « paquet Défense » au siège de la Commission européenne à Bruxelles le 4 mars 2025. (Photo de Nicolas TUCAT / AFP)

Jadis, un pays finançait son effort de guerre en faisant tourner la planche à billets. La solution n’est pas indolore, car elle génère une inflation galopante dont les populations deviennent les principales victimes. L’exemple de l’Allemagne qui fut aspirée dans ce tourbillon à partir de 1914 et pendant dix ans, marque encore les esprits par ses conséquences, notamment l’émergence du parti nazi. Ce n’est pas pour rien que Berlin est resté très sourcilleuse sur l’orthodoxie de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne, dont la principale mission consiste justement à juguler tout dérapage inflationniste pour sauvegarder la valeur de l’euro. Or, l’euro est une monnaie commune à vingt pays, et la France n’aurait pas les moyens de décider seule d’enclencher la planche à billets.

Une partie de la solution se situe au niveau de l’Union. La présidente de la Commission a proposé le 4 mars de lancer d’un grand emprunt européen pour mettre 150 milliards d’euros à la disposition des pays membres dans le cadre d’un plan à 800 milliards visant à renforcer la défense européenne. Cette solution, défendue par Emmanuel Macron et prônée de longue date par Raphaël Glucksmann, sera forcément prise en compte par Éric Lombard lorsqu’il présentera, le 20 mars prochain, ses solutions pour financer le réarmement de la France dans le cadre d’une politique conjointe européenne.

Il est d’autres hypothèses pour financer un effort de guerre qu’Éric Lombard préfère appeler « effort de paix ». Un vrai casse-tête, lorsqu’on considère les difficultés auxquelles on se heurte pour réaliser des économies lors de la construction des budgets. Passer d’un budget de la défense de quelque 2% de PIB à 3,5% comme avancé par le ministre, suppose de débloquer à terme quelque 87 milliards d’euros par an pour les armées contre 50,5 milliards en 2025. L’endettement déjà excessif de la France (3300 milliards d’euros) empêche d’y parvenir en creusant encore plus le déficit, d’autant que le remboursement des intérêts des emprunts contractés (60 milliards en 2025 et plus de 70 milliards en 2027) interdit de consacrer encore plus d’effort au service de la dette.

Certes, les investissements dans le domaine militaire pourraient ne plus être comptabilisés dans la dette publique au sens des critères de Maastricht. Il n’en reste pas moins qu’un emprunt génère des remboursements qui doivent être honorés, Maastricht ou pas. Ce qui serait accessible à l’Allemagne avec 68% de PIB de dette publique, la France avec une dette de 113% de PIB ne peut se le permettre.

Reste les ressources internes. Mais comment habiller la défense sans déshabiller la santé, l’éducation nationale, la justice ? « Nous devrons faire plus d’efforts », avertit Éric Lombard, qui insiste sur un effort « partagé par tous les Français ». On croit comprendre que la contribution différentielle pour les hauts revenus (une « taxe Zucman » allégée), sur laquelle travaille Amélie de Montchalin aux Comptes publics, sera utilisée à cet effet. A situation exceptionnelle, décision pragmatique… le contexte se prête à une remise en question du dogme macronien sur la fiscalité des grandes fortunes, hors outil de travail. Faudra-t-il aller plus loin?

Les grandes entreprises, déjà mises à contribution en 2025 par une surtaxe qui devrait rapporter 8 milliards d’euros, seront-elles sollicitées au-delà de cette année ? Une mobilisation de l’épargne peut aussi être envisagée avec un fléchage vers un fonds spécial défense que les établissements institutionnels (banques, assurances…) pourraient alimenter.

Il n’est pas question (pas encore) à ce stade de puiser dans l’assurance-vie des Français. Le bas de laine est évalué à 1900 milliards d’euros… mais ces fonds sont déjà utilisés pour financer la dette de la France.

Gilles Bridier