France-Allemagne : cousins germains ?
En Allemagne comme en France, les enjeux de 2025 sont tels qu’ils peuvent aboutir à une rétrogradation continentale durable, voire, dans le pire des cas, à l’implosion du projet européen. La gauche de gouvernement doit choisir, puis agir.
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À l’image d’Elon Musk, tout ce que compte l’extrême-droite globalisée ne s’y trompe pas en appuyant déjà l’AfD allemande dans sa quête d’un score historique le 23 février prochain. De l’autre côté du Rhin, les Verts allemands, traversés par des contradictions inextricables, ont abouti à la fragilisation, puis la déchéance de la coalition gouvernementale.
Si l’on ajoute à cela un chancelier social-démocrate pris en étau entre une croissance atone et une culture monétaire orthodoxe figée d’un côté et des convictions européennes otages d’une approche prioritairement nationale de l’autre, la coalition au pouvoir a ressemblé à une parenthèse. Le pays de Bertold Brecht est désormais acculé par l’irrésistible ascension des partisans de la « remigration » et de la priorité locale, mais aussi par les scores de Sahra Wagenknecht, populiste issue de l’autre rive, dont la formation s’enracine dans les Landers de l’ex RDA, ringardisant Die Linke, issu de l’ancien parti unique.
Comme en France, ces deux formations ne manquent pas de convergences : scepticisme à l’égard de la vaccination lors de la Covid, protectionnisme national partagé, opposition aux politiques transnationales de transition environnementale au nom de considérations présentées comme sociales et défense implicite des intérêts de la grande Russie. L’un et l’autre se présentant au nom du peuple, un tout hétérogène ne faisant qu’un face aux forces de l’establishment, marionnettes de Bruxelles, à la traîne des initiatives de Madame von der Leyen.
BSW et AfD d’un côté, RN et LFI de l’autre, c’est la grille de lecture complémentaire que n’a pas choisi d’adopter le parti de Jaurès à Paris. En 2024, engluée dans une marginalisation consentie, la gauche sociale-démocrate est restée dans les mains de Mélenchon au gré des circonstances. Décontenancée par le timing présidentiel, elle a d’abord signé un programme économiste grand-guignol, puis a participé au mauvais feuilleton Lucie Castets, sans audimat, mais tout de même prolongé jusqu’à l’automne. Alors qu’elle avait les moyens d’incarner une orientation européenne progressiste à grande échelle à l’issue d’une bonne campagne pour le parlement de Strasbourg, avec des priorités d’investissement et une logique fédéraliste pratique contre les replis nationaux à l’œuvre, elle s’est tue pour se recroqueviller sur la petite politique et ses petits intérêts boutiquiers. Pour cette raison, la gauche sociale-démocrate n’a traité la question agricole qu’à l’aune des problématiques portées par la Fnsea dans un œcuménisme patriotique populaire, mais à côté de la plaque.
L’explication réside dans la peur intacte de la direction actuelle du PS, redoutant non seulement la force de nuisance de Mélenchon et de son projet, mais également sa propre vacuité. Elle a beau déclamer sa volonté d’être utile et de revenir aux affaires, elle ne parvient pas à envisager son avenir autrement qu’à travers le NFP. Récemment, elle aurait voulu lancer une Opa sur le NFP expurgé de sa branche populiste, parenthèse refermée, mais elle reste subordonnée à une création mélenchoniste.
De la sorte, les social-démocraties franco-allemandes devront enfin trancher en 2025. Leur ADN commune est parlementaire, européenne, pas encore fédéraliste malheureusement, acquise au mix énergétique et rompue à l’économie de marché régulée. Elles ne pourront revenir au premier plan lors de scrutins municipaux, régionaux, législatifs – anticipés ou non – si elles sont empêchées et engoncées dans l’expression de leur identité par un prisme idéologique strictement national, voire nationaliste et ses déclinaisons économiques obsolètes. Qu’il soit en vogue n’y change rien puisqu’il est in fine rétrograde et inopérant.
Bien sûr, on rétorquera que les cultures politiques des cousins germains divergent. La République fédérale et parlementaire n’a que peu à voir avec la monarchie présidentielle, aujourd’hui en fin de cycle. Mais plutôt que de verser une larme, sonnons l’alarme et constatons que la vague populiste internationale menace les deux édifices, même si les seuils de dangerosité sont à ce jour plus élevés le long de la Seine qu’à Göttingen.