Frédéric Dabi : « LFI est un tigre de papier électoral »

par Valérie Lecasble |  publié le 05/02/2025

Pour le directeur général de l’IFOP, les défaites successives subies par La France Insoumise prouvent qu’elle a le plus grand mal à s’imposer dans des élections locales.

Frédéric Dabi, directeur général de l'institut de sondage Ifop France. (Photo Emmanuel DUNAND / AFP 2022)

Que signifie pour vous l’échec de La France Insoumise à Villeneuve-Saint-Georges ?

Il faut être prudent, les élections partielles sont toujours très particulières et l’on y vote peu, même si le niveau de 40 % de participation atteint au second tour à Villeneuve est honorable. Il est toujours difficile de leur donner une portée nationale
Je constate néanmoins qu’aux élections législatives en Ariège en janvier 2024, en Isère en janvier 2025, puis à l’élection municipale de Villeneuve-Saint-Georges il y a quelques jours, sans oublier les élections européennes de juin dernier, une répulsion des Français s’est manifestée pour la marque LFI. Cette tendance confirme nos sondages où les Français expriment à près de 80 % une mauvaise opinion de LFI et de son leader Jean-Luc Mélenchon, de plus en plus souvent associé à des propos aux relents antisémites. La question de la posture de ce mouvement est centrale : les Français attendent d’un parti politique d’opposition des constats et des propositions concrètes. Et non pas de faire de Rima Hassan une égérie ou de focaliser le discours sur Gaza.

LFI ne peut pas gagner d’élections locales ?

Un vote anti-LFI s’est manifesté au second tour en Isère et en Ariège. Cela valide le mécanisme qu’avait défini Guy Mollet et qui avait été repris par Charles Pasqua : lors d’une élection, on choisit au premier tour et on élimine au second.
C’est ce qui s’est passé avec le Front National pendant presque 30 ans entre l’élection de la députée Yann Piat en 1988 et celles de huit députés frontistes en 2017. Entre ces deux dates, le Front National n’a jamais pu remporter une seule élection dans une configuration de duel de second tour.

De la même façon, LFI fait figure de tigre de papier : il vocifère, il dispose d’une base militante disciplinée et mobilisée. Mais il ne gagne pas d’élections. Jean-Luc Mélenchon pourra toujours concourir à une élection présidentielle grâce à sa forte personnalité mais lors d’une législative ou d’une municipale, les candidats LFI sont isolés et donc faibles. Même dans une ville comme Villeneuve-Saint-Georges où l’électorat est jeune et populaire – comme l’a théorisé Mélenchon dans sa stratégie d’implantation locale – cela ne suffit pas.
Aux élections européennes de juin, La France Insoumise a été pour la première fois surclassée par l’alliance entre le Parti Socialiste et Place Publique, en ne parvenant à dépasser les 10%. Aux législatives de juin-juillet, la marque « Nouveau Front Populaire » regroupant l’ensemble des partis de gauche a atténué le discrédit touchant la marque LFI.

Ces différents revers électoraux fragilisent la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, qui consistait à remporter des victoires à l’échelle municipale et à placer des listes LFI à Paris, à Toulouse ou à Montpellier. LFI pourra certes faire battre des maires de gauche : aux municipales, il suffit d’obtenir 10 % des voix exprimées pour se maintenir au second tour. Mais LFI a de très faibles chances d’obtenir des victoires significatives.

A quand remonte cette rupture entre LFI et les Français ?

Il y a eu plusieurs étapes mais le 7 octobre 2023 constitue un tournant. Lorsque le communiqué de presse écrit par Danièle Obono qualifie d’« action de résistance » l’attaque du Hamas, LFI révèle alors sa difficulté à reconnaître le pogrom commis par le Hamas, en décalage total avec le ressenti des Français dans leur énorme majorité. La stratégie de mise en avant de Rima Hassan et d’importation du conflit au Proche-Orient a certes permis la mobilisation d’électeurs dans certains quartiers. Mais la sanction est venue aux élections européennes où la gauche de transformation a nettement devancé la gauche radicale. Et elle se poursuit avec cette série d’échecs électoraux.

Le Nouveau Front Populaire masque le rejet de LFI chez les électeurs ?

Oui, le second tour du Nouveau Front Populaire est meilleur pour le Parti socialiste que pour LFI. Au premier tour, La France Insoumise recueille de bons scores dans les grandes villes. Mais dans les zones moins typées, avec moins de jeunes, moins populaires, et en perte d’industrialisation, LFI recule partout. Plus la mobilisation est forte, plus l’on assiste à un vote anti-LFI.
De plus, des candidats comme Lyes Louffok en Isère ou Louis Boyard à Villeneuve Saint-Georges paraissent parachutés et sans ancrage. Ils semblent mal connaître le territoire et n’ont ni légitimité ni crédibilité pour bien gérer. Aux élections municipales, dans le match à gauche, les maires sortants socialistes et écologistes ont peu de craintes à avoir : leurs listes de majorité arriveront la plupart du temps devant celles des Insoumis au premier tour. Le risque majeur réside en la capacité de LFI de faire perdre des villes à la gauche en maintenant ses listes au second tour.

Cette situation n’obère pas les chances de Jean-Luc Mélenchon de bien figurer à l’élection présidentielle. Mais, localement la position de LFI demeure très compliquée, d’autant plus qu’avec la fin du cumul des mandats, on n’a jamais vu une étanchéité aussi forte entre la sphère politique locale et nationale.

Propos recueillis par Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Editorialiste politique