Friedrich Merz : la droite décomplexée

par Pierre Benoit |  publié le 22/02/2025

Le favori des élections allemandes professe de solides convictions libérales-conservatrices. Mais il devra gouverner en coalition avec le SPD…

Friedrich Merz, président fédéral de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et candidat de l'Union au poste de chancelier, lors de la clôture de la campagne conjointe CSU et CDU pour les élections au Bundestag. (Photo de SVEN HOPPE / Dpa Picture-Alliance via AFP)

Avec sa haute silhouette, son front dégarni, ses phrases sèches et provocatrices lâchées au fil des meetings et des plateaux de télévision, il aura dominé la campagne électorale allemande qui s’achève demain. Friedrich Merz incarne déjà le retour des libéraux-conservateurs après une parenthèse de trois ans à peine où le social-démocrate Olaf Scholz était aux manettes à Berlin.

Friedrich Merz est né en 1955 en Rhénanie-du-nord, une région riche et prospère de l’Allemagne de l’Ouest. Député européen, puis élu au Bundestag, son ascension politique dans l’appareil de la CDU tourne court en 2002 lorsqu’il est évincé de la présidence du groupe parlementaire par Angela Merkel devenue chancelière en 2005. Merz quitte alors la politique pour une traversée du désert pendant laquelle il devient homme d’affaire et banquier. Dès cette époque l’ancienne chancelière est présentée comme son « ennemie intime ».

Friedrich Merz revient en politique en tentant de prendre les rênes du parti, il est battu à deux reprises, en 2018 et en 2020, par des candidats soutenus par la chancelière. Depuis cette époque il marque sa différence avec les positions centristes d’Angela Merkel, sur la sortie de nucléaire comme sur l’accueil des réfugiés. L’Allemagne a reçu près d’un million de rescapés de la guerre civile syrienne entre 2015 et 2016. Merz patiente encore. Il lui faudra attendre le congrès de la CDU de décembre 2021 pour prendre la tête du parti conservateur, Angela Merkel n’ayant pas réussi à imposer une succession sur sa ligne modérée.

C’est un homme qui revient de loin qui prend la tête du groupe CDU au Bundestag en janvier 2022. Il peaufine alors son image d’anti-Merkel. Pendant les trois années Scholz, il se prépare, bataille souvent sur les questions de sécurité, confirmant au passage une posture conservatrice sur les questions de société jusqu’à affirmer en pleine campagne électorale qu’il est contre la parité homme-femme au sein du parti comme au gouvernement.

Friedrich Merz a surplombé cette campagne électorale avec un score annoncé autour de 30% des voix, mais ce n’est pas son parti qui a donné le tempo de la dynamique politique du pays. C’est l’extrême-droite avec l’AfD, qui pourrait tripler son score de 2021 en faisant une percée à plus de 20% des voix. La campagne a été scandée par une succession d’attentats, en décembre à Magdebourg, en janvier à Aschaffenburg, en février à Munich. Autant d’occasion pour Alice Weidel de stigmatiser l’immigration en réclamant la fin du droit d’asile et la fermeture des frontières. Et d’obtenir dans la foulée une résonnance mondiale en recevant « les hommages » appuyés d’Elon Musk.

Dans ce contexte de dynamique xénophobe, Friedrich Merz a commis une faute politique qui a stupéfié l’Allemagne. Le 31 janvier il a fait passer au Bundestag une résolution non contraignante durcissant les conditions d’immigration avec l’appui de l’AfD. Avec ce pas de côté, le candidat conservateur a brisé un tabou en vigueur depuis 1945. Il s’est fait tancer par Angela Merkel et a fait descendre dans les rues allemandes des centaines de milliers de manifestants. Friedrich Merz, ensuite, a voulu effacer son dérapage en déclarant qu’il n’était pas question de gouverner avec l’AfD.

En écornant le pacte républicain, il a sans doute perdu beaucoup de voix. Ce manque à gagner pourrait compliquer la composition de la future alliance de gouvernement. Si le score combiné de la CDU et du SPD est insuffisant pour former une « grande coalition », le futur chancelier devra chercher un troisième partenaire, les Verts ou les libéraux, ce qui va rallonger le délai pour relancer la machine gouvernementale. Or, il y a urgence.

Représentant une nouvelle droite assumée, Friedrich Merz est devenu un homme pressé. Pressé de faire ses preuves. Pressé parce que l’économie allemande est en récession depuis deux ans : il doit montrer que sa vision libérale, baisse des impôts, réduction de l’aide sociale, permettra à son pays de retrouver sa place dans le monde. Pressé de manifester sa solidarité avec l’Ukraine en livrant à Kiev les missiles de longue portée « Taurus » que Scholz n’a pas voulu fournir.

Reste une inconnue. Pour l’Allemagne, comme pour toute l’Europe, il faut repenser les relations avec les États-Unis après le renversement d’alliance que Trump vient d’opérer sur l’Ukraine. Friedrich Merz est un atlantiste convaincu, il va prendre la direction d’un pays dont le premier partenaire commercial est Washington avec 250 milliards d’euros d’échanges. Comment faire ? Pas facile, même pour un libéral.

Pierre Benoit