Gauche démocratique : wake-up !
La langueur avec laquelle la gauche démocratique française se restructure n’est pas à la hauteur des attentes de son électorat. Il est temps de se réveiller.
Le congrès socialiste n’en finit plus d’hésiter. La table est dressée et les convives hésitent entre reconduction fauriste au sombre bilan pourtant sans équivoque et renouveau directionnel pluriel permettant de s’adresser à la social-démocratie hors les murs.
Boris Vallaud, faiseur de roi annoncé, confirme un trait de caractère déjà connu : l’hésitation opportune pour les uns, l’indécision pour les autres. Difficile en effet, de vendre la synthèse sans trancher un certain nombre de questions au préalable. Les conciliabules se multiplient et les réflexes légitimistes militants au sein des fédérations, n’écartent aucune option. Dépasser le traumatisme branquignol du congrès de Marseille ne suffit pas quand les plaies demeurent à vif.
Certes, la rupture avec le chef du populisme criard et stérile est consommée, bien tardivement et sans que personne ne s’attarde sur l’initiateur de la rupture. Sans solution de rechange, les partisans d’une unité sans contenu, remplacent l’infréquentable Mélenchon par le populaire picard, François Ruffin. Si ce dernier possède effectivement les faveurs d’une partie de l’électorat de gauche, en compagnie de Raphaël Glucksmann ou François Hollande, la réalité de ses propositions économiques enfermerait pourtant la gauche dans un protectionnisme national, impraticable et inefficace dans l’environnement international qui est devenu le nôtre.
La discussion est naturellement bienvenue et nécessaire, mais la gauche de gouvernement, pour parfaire sa rupture avec Mélenchon, doit aussi bifurquer d’un compagnonnage programmatique de trois ans, reprenant un héritage qui n’est pas le sien.
Dans les cercles militants les plus actifs et radicaux, ce qui tient de totem indépassable demeure le tournant de la rigueur de 1983, le mur de l’argent après le 10 mai 1981 et l’expérience gouvernementale inachevée de juin 1936 dont la responsabilité échoirait exclusivement à Blum. François Hollande est vilipendé pour avoir mis en pratique une politique de l’offre par le truchement d’Emmanuel Macron, son ministre des finances de l’époque contre une alternative nationale, présentée comme d’inspiration keynésienne, à laquelle la gauche sociale et politique a été biberonnée. En réalité, dépassé 25 ans, tout cela ne tient pas et relève d’une fable simpliste et surannée.
Le contexte de la mondialisation et la brutalité du clan de Washington contre les échanges au détriment même des intérêts américains, n’autorise pas de poser le débat en ces termes. Le symposium du Premier ministre sur le poids de la dette française, dans un cadre contraint inédit, est compris par l’opinion. Cela nécessite le renforcement d’une politique européenne intégrée et une réforme de l’État toujours ajournée, afin que les mécanismes de solidarités et de redistributions persistent.
La cécité entretenue et prolongée à l’occasion du délirant programme économique du NFP, n’y aide pas. La réévaluation même du mandat de François Hollande, à la lumière du déficit public abyssal contracté depuis 8 ans – Covid mise à part – devrait au moins interroger les gauches plutôt que de se ranger aux seules dénonciations acerbes du « social-libéralisme » dont le contenu pratique n’a jamais été précisé si ce n’est par le seul choc fiscal du grand soir, finissant le plus souvent en petits matins blêmes.
À l’extérieur du Parti socialiste, si Bernard Cazeneuve multiplie ses offres de services dans la chambre d’appel, le comportement de Raphaël Glucksmann et le rythme propre à Place Publique interrogent bien des chapelles, pourtant favorablement disposées à son endroit. Un programme ambitieux est annoncé pour juin, mais cela n’empêche nullement une présence médiatique moins hiératique et des rapports entretenus avec le reste des formations de gauche, moins ambigus. Sa situation l’oblige. Il est incontestablement celui qui est sorti du lot aux dernières élections européennes, par la lucidité de son approche européenne et ses propositions progressistes à bonne échelle. Cela doit déboucher sur sa mue hexagonale, en saisissant les opportunités.
Epinay II pour les uns, peu importe l’appellation non contrôlée, la gauche court après sa réinvention. Elle doit se hâter. À cette heure, elle pêche autant par sa structure organisationnelle que par son programme. Billancourt ne sera plus découragée et pour cause, mais la leçon américaine doit l’inspirer. À force de considérer Kamala Harris comme insuffisamment radicale, la démocratie américaine lutte désormais pour perdurer, incluant Liz Cheney à l’avant-garde de sa résistance. C’est à ce niveau de défi et à cette échelle que la gauche française doit assumer sa responsabilité historique si elle veut éviter la marginalisation durable.