Gauche : fumée blanche ou fumée rouge ?
Mélenchon veut à tout prix imposer une candidature LFI pour Matignon. Au mépris de toute logique politique.
Une semaine que la gauche se déchire pour désigner une ou un Premier ministre : voilà qui tourne à la pantalonnade. Le dernier épisode en date le montre à loisir. Avec une apparente bonne volonté, Fabien Roussel sort de son chapeau le nom d’Huguette Bello, présidente du conseil régional de la Réunion, femme à coup sûr respectable, mais inconnue du grand public. Aussitôt, Jean-Luc Mélenchon saute sur son téléphone et appelle l’impétrante involontaire. Elle tombe de sa chaise, puis se dit qu’après tout, elle pourrait faire l’affaire aussi bien que quelqu’un d’autre. Pourquoi pas ?
Puis chacun se penche sur son CV, ce qui est la moindre des choses quand on envisage d’occuper l’Hôtel Matignon. Et on s’aperçoit vite que madame Bello, longtemps membre du Parti communiste, figurait lors des dernières élections européennes sur la liste de Manon Aubry. « Elle est racisée », dit Mélenchon. Drôle d’argument, quand on y pense : la couleur de la peau serait donc un critère important pour devenir Première ministre ? À ce compte-là, Olivier Faure pourrait exciper de sa mère vietnamienne pour prétendre diriger le gouvernement. Malsaine racialisation de la vie politique, qui mène à l’absurde.
En fait, on comprend très vite que la principale qualité d’Huguette Bello, aux yeux de la gauche radicale, c’est qu’elle n’est pas socialiste. Depuis le début, les négociations achoppent sur le même problème : Jean-Luc Mélenchon veut imposer une ou un Insoumis à Matignon. Ayant échoué à faire accepter sa propre personne, il a successivement présenté Clémence Guetté, Manuel Bompard et Mathilde Panot. Ceux-ci ayant été récusés par ses partenaires, il a promu Huguette Bello, elle aussi proche de LFI. Comme on lui ferme la porte, il rentre par la fenêtre. En fait, il est d’accord pour une candidature de n’importe quel parti, à condition que ce soit LFI.
« Pour gouverner, et même pour faire adouber un quelconque gouvernement de gauche, il faut obtenir, sinon le soutien, du moins la neutralité, de forces plus à droite »
Ce qui aboutit à une situation ridicule : les dirigeants de la gauche sont comme des enfants qui se disputent le gâteau de quatre heures. « Ce n’est pas juste, il a une part plus grosse que la mienne ! » Voilà qui va renforcer la crédibilité du Nouveau Front Populaire. Peut-être pourraient-ils considérer, en lieu et place de ces enfantillages, l’équation politique qui s’impose à eux. La gauche détient une majorité relative à l’Assemblée, c’est-à-dire, comme elle le disait elle-même de la macronie, une minorité. Si bien que pour gouverner, et même pour faire adouber un quelconque gouvernement de gauche, il faut obtenir, sinon le soutien, du moins la neutralité, de forces plus à droite. Et pour atteindre cet objectif, vaut mieux ne pas mettre en avant les dirigeants les plus à gauche de la coalition. D’où la candidature d’Olivier Faure, la plus logique dans les circonstances présentes. Mais Jean-Luc Mélenchon préfère que le bateau coule plutôt que de céder la barre.
De ce point de vue, le Nouveau Front Populaire pourrait s’inspirer de l’ancien, celui de 1936. Pour former un gouvernement, la gauche de l’époque s’est appuyée sur des personnalités issues de la SFIO et du Parti radical. Dans le souci de ne pas effrayer les classes moyennes, dont il escomptait le soutien contre l’extrême-droite, le Parti communiste a préféré rester hors du gouvernement, dans une posture de « soutien sans participation ».
Si elle voulait vraiment que la gauche gouverne, la France insoumise, dont le leader est l’homme politique le plus impopulaire de France, aurait dû, elle aussi, faire profil bas et laisser ses partenaires occuper le devant de la scène. Tactique logique, intelligente, mais manifestement trop éloignée de l’hubris mélenchonienne pour voir le jour. Ce qui nous confirme dans notre conviction, maintes fois réitérées : toute coalition dominée par la gauche radicale est incapable de gouverner.