Gaza-Israël : le sursaut tardif de l’Europe

par Pierre Benoit |  publié le 23/05/2025

Après avoir protesté sans agir contre l’opération israélienne à Gaza, l’Europe semble se ressaisir. Tardivement et faiblement.

Un camion avec de l'aide humanitaire avant d'entrer dans la bande de Gaza au point de passage de Kerem Shalom le 22 mai 2025 dans le sud d'Israël. (Photo Amir Levy / Getty Images via AFP)

Mercredi 21 mai. 90 camions d’aide alimentaire ont pu pénétrer à Gaza. Le gouvernement israélien a autorisé le passage d’une centaine de véhicules par jour pour délivrer les secours. Cette décision de Netanyahou doit s’arrêter au bout de quatre jours : quatre cents camions ne couvriront que 2% des besoins alimentaires réels de l’enclave gazaouie.

A peine entrouverte la porte se refermera. Le blocus de Gaza reste en place tel quel depuis le 2 mars : « Ces quelques camions ne changent rien à la situation, la malnutrition continue, les épidémies continuent, la concentration de la population dans des camps invivables se poursuit, voilà ce que rapportent les équipes sur place », note l’ancien président de Médecin sans frontière Rony Braumann. Il ajoute : « Il s’agit d’une opération de pure communication à destination des alliés d’Israël. Netanyahou a bien compris que les images de Gaza étaient dévastatrices, il veut les compenser par des images de distribution d’aide. C’est une imposture, l’aide permet de regrouper la population dans le sud de l’enclave, elle est au service d’une stratégie d’occupation, probablement d’un projet d’expulsion ».

Près de trente mois après l’attaque terroriste du Hamas, l’Union Européenne annonce une révision de son accord d’association avec Israël. Entré en vigueur en 2000, cet accord comporte un volet politique qui souligne, dans son article deux, que les parties signataires s’engagent « au respect des droits de l’homme et des principes démocratiques ». Au passage, le volet économique de cet accord a transformé l’UE en premier partenaire économique d’Israël.

Longtemps l’Europe a estimé qu’Israël exerçait un droit légitime de réplique après l’opération sanglante du Hamas qui a coûté la vie à quelques 1200 israéliens. La destruction des centres urbains, les bombardements indiscriminés, les alertes répétés lancées par les ONG et même celles des familles des otages israéliens qui réclamaient une trêve pour négocier leur libération, rien n’a vraiment ébranlé la posture adoptée par l’UE.

Seuls les gouvernements espagnol et irlandais ont demandé, en février 2024, un examen de l’accord d’association UE-Israël au regard des obligations engageant les signataires. Il n’y a pas eu de suite à cette demande, alors que l’action disproportionnée d’Israël débouchait à l’évidence sur une vengeance collective avec son lot de crimes de guerre. Cette longue paralysie européenne n’étonne pas Rony Braumann : « en Europe les gouvernements soutiennent Israël comme une démocratie, et même le fer de lance des démocraties en lutte contre la barbarie islamiste ».

Pendant des mois la comparaison entre la guerre à Gaza et le conflit en Ukraine a pu être mise en avant pour critiquer le cynisme mensonger des pays occidentaux. Dans les pays du sud on dénonçait ce « deux poids, deux mesures ». La mise en route d’une révision de l’accord d’association avec l’état hébreu rebat les cartes : « c’est un tournant majeur, reprend Rony Braumann, Pour la première fois les gouvernements européens brandissent la menace de sanctions …Ce n’est pas encore la fin du deux poids deux mesures, mais le début d’un rééquilibrage… Le déclic, je pense, est la férocité de la nouvelle offensive, l’utilisation des réservistes, l’annonce de l’occupation totale, elle dévoile le projet stratégique israélien, reprendre le contrôle de la totalité de la Palestine ».

Tardif, le virage de l’Europe va prendre du temps alors que les bombardements ne connaissent aucun répit. Il pourrait aussi s’avérer délicat : même si une majorité de pays ont voulu cette révision de l’accord, il faudra un vote à l’unanimité pour adopter des sanctions politiques, des votes à la majorité qualifiée pour d’éventuelles mesures de rétorsions économiques.

Engagée comme jamais dans son soutien à l’Ukraine depuis l’arrivée de Trump, l’Europe se trouve confrontée à un test de crédibilité dans le conflit israélo-palestinien. Non seulement elle ne pourra plus revendiquer sa stratégie de « solution à deux États » si la Palestine n’a plus aucun territoire où pouvoir s’incarner, mais elle doit rester crédible sur la question du respect des droits humains. Pour Amélie Férey, chercheuse à l’Institut français de relations internationale (Ifri) , « ce qui se joue, d’un point de vue diplomatique, est décisif en ce qui concerne les prétentions de l’UE à se comporter comme une « puissance » à part entière sur la scène internationale. Le comportement du gouvernement israélien la met au pied du mur. »

Pierre Benoit