Gaza : la bataille des mémoires commence

par Pierre Benoit |  publié le 15/01/2025

Quel que soit le bilan de la guerre, les traumatismes infligés aux deux parties s’inscriront dans leur inconscient collectif.

Des Gazaouis font la fête à Khan Yunis en apprenant par la télévision, le 15 janvier 2025, la nouvelle d'un accord de cessez-le-feu et de libération des otages et de prisonniers entre Israël et le Hamas, visant à mettre fin à plus de 15 mois de guerre à Gaza. (Photo BASHAR TALEB / AFP)

Pendant les négociations au Qatar sur un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, les bombardements continuaient sur la bande de Gaza. Les dernières frappes israéliennes ont fait une cinquantaine de victimes palestiniennes. D’où l’impression que les attaques se sont intensifiées dans cette ultime étape des tractations conduites sous l’égide des États-Unis et de l’Égypte.

Tout se passe comme si la présence de l’émissaire personnel de Donald Trump, Steve Witkoff, avait eu un effet d’accélérateur. Son arrivée dans les discussions pourrait indiquer qu’un « deal » a été conclu avec l’extrême droite israélienne : on évoque l’annexion complète de la Cisjordanie. Donald Trump a voulu à tout prix parvenir au Capitole auréolé par un premier succès, le cessez le feu à Gaza.

Dans cette première phase, il s’agit juste d’une trêve permettant la libération de 33 otages israéliens encore aux mains du Hamas (il en reste encore 65 selon le site « Times of Israël »), et l’élargissement d’un millier de détenus palestiniens. On parle aussi de la possibilité pour les Palestiniens de revenir dans le nord de l’enclave sachant que près de deux millions d’entre eux ont été poussé vers le sud depuis l’ouverture des hostilités. Ensuite, une seconde négociation s’ouvrirait quinze jours plus tard. A ce stade, rien n’a encore filtré sur le statut final de l’enclave palestinienne, ni sur le projet sécuritaire de l’armée israélienne

Nous n’en sommes pas là. Depuis l’attaque terroriste du Hamas et ses 1200 victimes, nous en sommes au 466ème jour de guerre à Gaza. Et tout n’a pas commencé le 7 octobre 2023. C’est la cinquième guerre sur l’enclave gazaouie depuis 2007. Cette dernière a déjà fait 46.000 victimes palestiniennes et provoquée la destruction de quelques 70% de l’habitat. Un cimetière en ruine…

Quel que soit le bilan définitif des victimes de tous bords, s’il est permis de l’établir un jour, ou le niveau des destructions, s’il est possible de le quantifier, le travail des mémoires s’inscrit déjà dans l’inconscient collectif des Israéliens comme des Palestiniens.

Pour les Israéliens, le 7 octobre restera comme le premier pogrom du 21ème siècle. Un traumatisme indélébile pour les victimes des kibboutz, pour les jeunes de la « rave party », pour les familles des otages vivants ou disparus. Traumatisme de guerre aussi pour les appelés du contingent qui forment l’essentiel des unités de combats de l’armée israélienne. Depuis l’été, les témoignages s’enchaînent dans les médias. Parfois même, évoquant leur expérience de Gaza, des officiers des commandements osent parler « de vengeance délibérée ».

Le drame de Gaza s’inscrit déjà dans cette étape de la mémoire israélienne totalement inédite depuis la création de l’état hébreu. Au passage, ces quinze mois de guerre viennent aussi percuter l’élan de mémoire dont bénéficiait Israël depuis la Shoah. L’intensité des bombardements et le nombre des victimes civiles des opérations militaires sont supérieurs à tous les conflits récents. Les historiens convergent sur ce point. Le niveau des pertes, comme les appels répétés à éradiquer les partisans du Hamas, ont alimenté l’agitation des campus américains et l’indignation de nombreux gouvernements dit « du Sud ». L’image d’Israël s’est dégradée dans le monde.

Le traumatisme n’est pas moindre du côté palestinien. Car ici le nombre considérable des familles touchées ou anéanties par l’affrontement réactive la conscience aiguë d’une autre mémoire, celle du déplacement forcé de quelques 700.000 Palestiniens qui sont devenus des réfugiés au Liban ou en Jordanie au moment de la création de l’État d’Israël.

Quelle que soient les suites de l’accord négocié au Qatar, il faudra compter avec la superposition de ces deux mémoires. Leur conjonction donne le vertige. À tout le moins, la justice internationale devra passer pour contribuer à les réparer. Et surtout, Israéliens et Palestiniens devront bien un jour choisir d’autres dirigeants pour tourner le dos à leur guerre sans fin.

Pierre Benoit