Gaza : le « kairos » des suprémacistes
Implacable et sanglante, l’opération israélienne a changé de dimension. Il ne s’agit plus de punir le Hamas, mais de modifier radicalement la carte de la région.
Toujours la litanie désespérante des nouvelles en provenance de Gaza… Le dernier bombardement israélien, précédé par tant d’autres, a causé plus de 70 morts ; le Conseil de l’Europe dénonce « une famine délibérée » organisée dans l’enclave ; Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, note que « 9 000 enfants ont été accueillis pour malnutrition dans ce qu’il reste des hôpitaux à Gaza ».
Face à cette accumulation, le soupçon prend corps : il ne s’agit plus seulement d’une guerre d’attrition visant à éradiquer le Hamas à Gaza, ni même d’une punition collective contre la population civile. Nous avons affaire à une opération d’une tout autre ampleur, dont le but transparaît dans les déclarations de l’extrême-droite israélienne qui domine le gouvernement Netanyahou. Tout se passe comme si la faction suprémaciste de Tel-Aviv sacrifiait désormais à la mystique du « kairos », ce moment décisif qu’il faut saisir à tout prix avant qu’il ne soit trop tard.
Ce « kairos » tient en une conjonction de facteurs favorables à ses terribles projets : le traumatisme du 7 octobre, qui réduit au silence, ou minorise, toute opposition à la guerre ; la complicité tacite de Donald Trump ; la mobilisation de l’appareil militaire ; le silence des pays arabes peu soucieux de venir en aide au Hamas ; l’affaiblissement de l’Iran, l’impuissance de l’Europe et la division de la communauté internationale. En un mot, pour ceux qui rêvent d’une extension décisive du territoire israélien et qui veulent annihiler tout espoir de solution « à deux États », c’est le moment où jamais.
L’occasion est historique de régler définitivement le problème de Gaza et de la Cisjordanie, à l’aide d’un nettoyage ethnique systématique et d’une annexion les territoires cisjordaniens au profit des colons. Comment expliquer la poursuite des bombardements, les déplacements incessants de population, la destruction systématique des habitations, l’occupation militaire de fractions croissantes du territoire et la famine délibérément provoquée, sinon par la volonté de transformer Gaza en un enfer invivable, qui poussera irrésistiblement les Gazaouis à l’exil ?
On connaît déjà les conséquences inévitables de cette fuite en avant : un exil massif et sanglant qui heurtera la conscience humaine ; la ruine de l’image de la démocratie israélienne dans le monde ; le déchirement des communautés juives de la planète, qui a commencé et, surtout les semences d’une volonté de vengeance inextinguible disséminées parmi les populations palestiniennes et arabes. Tel est le sombre avenir d’Israël, vainqueur sanguinolent d’une guerre menée contre des civils, si les gouvernements des démocraties se contentent, face à cette catastrophe annoncée, de protestations verbales et de prudentes démarches diplomatiques.



