Gaza : Ubu visionnaire
L’extravagant projet de Donald Trump pour les habitants de Gaza – leur dispersion dans le monde arabe – est rejeté par tous les protagonistes du conflit et s’assoit sur tous les principes du droit international. À moins qu’il s’agisse d’une pure rodomontade.

« Nous allons prendre le contrôle de la bande de Gaza ». Donald Trump et Benyamin Netanyahou sont à la Maison Blanche, côte à côte derrière leurs pupitres, après leur entretien. Le président américain reprend : « par souci humanitaire, il faudrait vider Gaza de sa population, disperser les Palestiniens dans la région ».
Le 47ème président des Etats-Unis détaille sa vision. En bon milliardaire dont la fortune est fondée sur l’immobilier, il déroule son programme : « nous la posséderons et serons responsables du démantèlement de toutes les bombes dangereuses qui n’ont pas explosé et de toutes les armes…Il faut aplanir la zone et se débarrasser des bâtiments détruits ». A terme, Gaza deviendra « la côte d’Azur du Moyen-Orient ».
Ce n’est pas la première fois que Donald Trump convoque l’idée de faire de Gaza « une riviera » à coup de milliards de dollars. Se faisant, il projette exactement son propre univers mental et culturel, celui qu’il a toujours connu avec les « marinas » pour millionnaires de Floride.
À ses côtés, Benyamin Netanyahou souriait pendant la conférence, sachant que les propos du patron de la Maison Blanche vont dans le sens de l’extrême-droite suprémaciste qui fait partie de la coalition au pouvoir à Jérusalem.
Trump improvise une diplomatie du bulldozer et de la pelleteuse, il veut, au sens propre, faire « table rase » de l’histoire et de la mémoire. Table rase de l’histoire immédiate : il y a quinze jours à peine, les bombes israéliennes s’abattaient sur Gaza, comme elles l’ont fait pendant 15 mois consécutifs. L’enclave palestinienne est devenue un tas de gravats mais avant tout un cimetière où plus de 60.000 palestiniens ont péri. Au passage, dans ce « cimetière », il y a aussi des otages israéliens décédés et des soldats de Tsahal tués dans les combats.
Le président américain a aussi oublié la réunion du 30 janvier qui s’est tenu au Caire. Cinq pays arabes, dont l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie Saoudite ont exclu ce jour là toute perspective de déplacement des Palestiniens de Gaza dans les pays de la région. Lors de cette même réunion du Caire, ils ont tous réaffirmé leur volonté de soutenir une solution à deux États pour régler la question palestinienne.
Sans surprise, les derniers propos de Donald Trump provoquent donc une réaction virale de rejet dans le monde arabe : les Palestiniens bien sûr, de Mahmoud Abbas au Hamas, mais aussi les pays du Golfe, et ceux du pourtour de la Méditerranée comme la Turquie, tous rejettent les déclarations exprimées hier à la Maison Blanche.
Parlant ouvertement d’évacuer les populations de Gaza, (plus de deux millions d’habitants), Donald Trump s’assoit aussi sur le temps long de l’histoire palestinienne : il gomme les quelques 700.000 palestiniens déplacés en 1948, dans la foulée de la création de l’État d’Israël, dont beaucoup se sont installés à Gaza justement. Peut-être même n’a -t-il jamais entendu parler de cet épisode traumatique…
Reste une question : la vision ubuesque du président américain ne risque-t-elle pas de stopper net la perspective d’une relance du « processus d’Abraham », cette initiative lancée lors de son premier mandat, visant à obtenir une reconnaissance mutuelle entre les pays arabes et Israël ? L’Arabie Saoudite a dit et répété sa condition : la création d’un État palestinien. On en est loin. Sauf si le président américain fait du bluff avec sa posture maximaliste, pour se rabattre ensuite sur une négociation plus classique aujourd’hui indéchiffrable. On vient d’entrevoir cette méthode avec le yoyo qu’il a réalisé en quelques jours sur les tarifs douaniers.