Géorgie, le pays aux deux visages

par Pierre Benoit |  publié le 17/12/2024

En entrant dans sa troisième semaine de crise, la Géorgie vient de franchir un autre palier dans l’affrontement qui divise partisans et adversaires d’un rapprochement avec l’Union Européenne. 

Manifestation devant le Parlement géorgien après que les membres du Parlement ont élu un nouveau président, Mikheïl Kavelachvili, à Tbilissi, le 14 décembre 2024. (Photo de Jérôme Gilles / NurPhoto via AFP)

Samedi 14 décembre au matin, des milliers de manifestants étaient réunis devant le Parlement de Tbilissi au moment où un collège électoral contrôlé par le parti au pouvoir a désigné pour la présidence le seul candidat en lice par 224 voix sur 225 exprimés. Mikheïl Kavelachvili, député et dirigeant du « pouvoir au peuple », une petite formation populiste réputée pour ses positions ultra-nationalistes, n’avait pas l’air surpris par sa désignation.

Dans la brève histoire de la Géorgie post-soviétique, c’est pourtant bien la première fois qu’un Président de la République n’est pas élu au suffrage universel. Samedi matin devant le parlement on comptait de nombreux élus de l’opposition refusant de siéger car ils contestent la validité du scrutin du 26 octobre. Officiellement le parti pro-russe du Premier ministre Iraki Kobakhidze, « le rêve géorgien », l’avait emporté avec 53% des voix, mais le résultat avait été remis en cause à la suite d’irrégularités. 

Une déclaration du Premier ministre annonçant, 48 heures après le vote, que Tbilissi reportait à 2028 l’ouverture des négociations de la Géorgie avec l’Union Européenne a mis le feu aux poudres. Cette annonce a fait descendre l’opposition dans la rue. Elle a aussi surpris de nombreux géorgiens qui ont donné leurs voix au parti du Premier ministre, car l’ouverture en direction de l’UE était déjà actée par le parlement de Tbilissi. 

Autant dire que le « rêve géorgien », pourrait vite se transformer en cauchemar dans un pays qui fait l’expérience de la peur, avec quelques 450 manifestants déjà incarcérés en quelques jours. 

La fracture du pays est incarnée par deux personnalités radicalement opposées. 

D’un côté Mikheïl Kavelachvili, un homme de 53 ans à la carrure athlétique, ancien joueur professionnel de football passé par le club de Manchester City, avant de remporter six titres sous les couleurs du Dinamo de Tbilissi. Après cette carrière d’attaquant, il entame une vie politique d’abord au sein du parti « le rêve géorgien », puis en créant une formation d’extrême droite voici une dizaine d’années. Cette formation s’est vite fait remarquer avec son style populiste anti-européen et ses diatribes contre les militants LGBT. Les manifestants de samedi étaient nombreux à brandir des cartons rouges pour dénigrer cette désignation. Malgré son nouveau maillot de Président, Mikheël Kavelachvili n’aura qu’une fonction symbolique car il était le candidat du « rêve géorgien » pour le poste. La réalité du pouvoir restera entre les mains du Premier ministre Iraki Kobakhidze qui tient le pays en pleine complicité avec son ami, le milliardaire Bidzina Ivanichvili, un oligarque qui fait fructifier l’essentiel de ses affaires en Russie. 

L’autre figure de la scène géorgienne est Salomé Zourabichvili, la Présidente actuelle dont le mandat s’achève à la fin du mois. Cette militante pro-européenne exclut de quitter son poste tant que de nouvelles élections législatives n’auront pas eu lieu. « Je suis la seule présidente légitime de ce pays puisque le Parlement n’a pas été élu lors d’une élection qui prend en compte les voix des Géorgiens », souligne la Présidente sortante dans un entretien à une radio française. Selon elle, le nouveau Président est l’homme d’un parti unique qui contrôle toutes les institutions du pays. Et le Premier ministre « veut imposer à la Géorgie de rompre avec son destin européen pour se tourner vers la Russie ». 

Le face-à-face actuel n’aura sans doute pas d’issue immédiate. Le parti au pouvoir ne convoquera pas un nouveau scrutin, et la Présidente sortante risque de se trouver isolée. « Salomé Zourabichvili est allée dans les manifestations où se trouve la jeunesse. Elle est courageuse, mais son côté passionaria ne suffit pas », souligne Jean Radvanyi, auteur de l’ouvrage Russie, un vertige de puissance aux Éditions la Découverte. Avant d’ajouter : « beaucoup de Géorgiens sont fatigués et déçus par le pouvoir actuel, mais ils ne sont pas pour autant attirés par les partis des anciens gouvernements qui ont connu l’exercice du pouvoir ». 

Pierre Benoit