Gouvernement : un saut dans le passé

par Laurent Joffrin |  publié le 19/09/2024

Obligé de choisir ses ministres dans les rangs de deux formations battues et usées, Michel Barnier fera pour l’essentiel du vieux avec du vieux.

Laurent Joffrin

Parfois les enfants, toujours en mal de jeux donnant le frisson, se réunissent dans une pièce sombre et se racontent des histoires horribles pour se faire peur à bon compte. Alors apparaissent, à la faveur de la pénombre, des personnages tous aussi terrifiants les uns que les autres, un ogre, un dragon, une sorcière, ou encore des héros de fiction comme Darth Vador, le capitaine Crochet ou le Joker de la série Batman.

C’est dans cette atmosphère d’angoisse mi-réelle mi-imaginaire que seront plongés les Français au cours de ce week-end qui commence. Jusqu’à dimanche, c’est-à-dire jusqu’à la nomination du prochain gouvernement, les noms de personnages tout aussi horrifiques surgissent l’un après l’autre pendant les repas ou lors des rencontres entre amis. « Ils vont mettre Rachida Dati à l’Éducation nationale ! », dit l’un. « Ils sont capables de désigner Ségolène Royal ! », lance l’autre. « Wauquiez va à Bercy ! », ajoute le troisième. « Retailleau sera place Beauvau ! » renchérit un augure, « non ce sera Manuel Valls ! », corrige un convive particulièrement pessimiste. Seuls quelques optimistes – ou quelques naïfs – tentent de rassurer l’assistance par un conclusif « non, ils n’oseront pas ! »

Il se peut pourtant qu’ils osent… Contraint de s’appuyer sur une majorité relative en forme de peau de chagrin, Michel Barnier puise dans un vivier de la taille d’un dé à coudre, ce qui lui laisse un choix d’impétrants fort étroit : d’un côté les revenants de la droite parlementaire, dont on dit qu’ils occuperont les postes les plus importants alors qu’ils forment le groupe le plus insignifiant de l’Assemblée ; de l’autre les survivants du macronisme désavoués par le suffrage universel et maintenus à l’Assemblée par le miracle du Front Républicain, troupe informe de zombies anonymes, comme le sont en général les ministres macroniens. Ainsi que l’a dit Emmanuel Macron au soir des législatives de juillet dernier à son épouse Brigitte : « chérie, j’ai rétréci les marcheurs ! ».

Alors qui ? Les journalistes, dans cet exercice de devinette pré-gouvernementale se trompent avec une régularité d’horloge. On ne se risquera donc pas ici à ajouter au ridicule. En revanche il est une prophétie à peu près sûre : commencé dans l’ivresse d’une révolution annoncée, le règne macronien se terminera dans une atmosphère de Restauration, avec une équipe sortie du musée, qui réincarnera faute de mieux les antiques combinaisons de la chiraquie RPR-UDI. Voilà qui aura au moins le mérite de rajeunir les plus anciens des électeurs, en les replongeant dans un passé vintage à souhait.

Laurent Joffrin