Gouverner à la godille

par Bernard Attali |  publié le 11/10/2024

Notre endettement est devenu intenable. Le coup de frein donné aux dépenses publiques est justifié. D’où vient alors le sentiment de désarroi qui domine dans l’opinion ?

Un employé de l'Agence France Trésor (AFT) au ministère de l'économie à Bercy en mai 2019. L'AFT gére la dette publique et la trésorerie. (Photo par ERIC PIERMONT / AFP)

Il est clair la conjoncture exige des adaptations au fil des événements . Il est également évident que le pays a traversé des crises plus ou moins prévisibles . Mais qu’un État moderne se laisse bousculer de la sorte et réagisse en permanence par des à coups brutaux laisse rêveur. Une entreprise qui serait gérée de cette manière perdrait vite ses clients et démotiverait rapidement ses employés.

L’idée de planifier les dépenses publiques sur plusieurs années n’est pas nouvelle. Les lois de programmation sont faites pour cela. Malheureusement ces lois n’ont pas de valeur juridique contraignante . Le Conseil Constitutionnel ne peut donc sanctionner un gouvernement qui ne les respecte pas en bâtissant son budget. Cette situation est évidemment dommageable. Non seulement elle ne contraint pas le gouvernement à respecter ses propres priorités mais elle installe les partenaires économiques et sociaux , dont les entreprises et les collectivités locales, dans une incertitude qui les pénalise lourdement .

Hier encore on nous vantait un début de planification écologique : elle vient de sombrer. Hier encore on disait le budget de la recherche absolument vital en cette période de grandes innovations technologiques : ses crédits vont être sacrifiés. Hier encore on voulait plus d’enseignants : on en aura moins. Hier encore la Justice était prioritaire : ce n’est plus le cas. Quant au montant de la retraite au 1er janvier prochain attendez un peu, on est pas sûrs…

Ce n’est plus en même temps, c’est en zig zag !

Certes, cette situation n’est pas nouvelle : l’urgent tend toujours à cacher l’important. Mais elle prend un caractère particulièrement grave quand elle s’accompagne d’une absence de réflexion à long terme. Il est loin le temps ou le Commissariat du Plan balisait l’horizon à cinq ans après une concertation approfondie avec tous les acteurs de la société. Il est révolu le temps où la Datar faisait œuvre de prospective pour étudier les grands scénarios de développement territorial. Ces deux institutions ont disparu dans l’indifférence générale ! Quant à la fameuse Direction de la Prévision à Bercy, il est difficile d’être ébloui par ses dernières performances ! Il faudra m’expliquer comment le déficit public a pu dévisser de 52 milliards en un an sans que personne n’ait vu venir le gouffre.

L’action publique se résume aujourd’hui à une succession de coups de godille dont le citoyen a du mal à percevoir le sens. Comment s’étonner qu’il réagisse en se jetant dans les bras de tous les démagogues prêts à lui promettre n’importe quoi ? Avec, bien évidemment, le soutien bruyant des médias qui n’ont souvent pour moteur que l’obsession de leur diffusion au jour le jour. La course à l’audimat encourage la myopie.

Comment retrouver le sens du temps long ?

Peut-être en donnant une force plus contraignante aux lois de programmation budgétaire. Mais au-delà – et surtout – en réinventant des lieux de réflexion prospectives. En confiant cette mission et ces travaux aux Commissions Parlementaires, on accroîtrait non seulement leurs moyens de réflexion des Assemblées, mais aussi leur crédibilité dans le pays. Quand on constate la pauvreté des débats parlementaires actuels, c’est peu de dire qu’il devient urgent de redonner à nos élus ce rôle d’éclaireurs qu’ils ont tristement perdu. On a coutume de répéter que l’avenir n’a pas de lobbyistes. Il serait temps d’y remédier.

NB : le seul contre-exemple que je voudrais souligner : les travaux de Red Team menés par le Ministère des armées. Étonnante expérience de réflexion prospective qui mériterait d’être dupliquée dans bien d’autres ministères !

Bernard Attali

Editorialiste