Patrons : le couac 40
Bernard Arnault a menacé de délocaliser LVMH à cause des impôts et Patrick Martin a incité les chefs d’entreprise à quitter la France. Au moment où l’on demande un effort collectif aux Français, ces inepties antipatriotiques ont contraint les deux grands patrons à rétropédaler.

Sacré cafouillage, qui aura vu l’homme le plus riche de France menacer de quitter son pays avant de promettre d’y rester et le patron du Medef appeler ceux qui le peuvent à suivre son exemple, avant de rétropédaler au nom du patriotisme économique ! L’histoire retiendra la sortie hasardeuse de Bernard Arnault, qu’on a connu plus prudent, et la grossière erreur de Patrick Martin, qu’on a entendu plus malin. Comment en est-on arrivé là ?
Mardi 28 janvier, à l’occasion de la présentation des résultats de LVMH, Bernard Arnault s’indigne de la surtaxation des grandes sociétés prévue dans le budget 2025, qu’il qualifie de « taxe du Made in France (…) poussant à la délocalisation ». Négociée par le gouvernement de Michel Barnier, cette taxe doit rapporter 8 milliards d’euros. Pour les Français, elle n’est qu’une légitime contribution des plus grosses entreprises à l’effort du pays.
A la surprise générale, Patrick Martin lui emboîte le pas jeudi sur RTL : il comprend que « les patrons qui peuvent partir partent et ils ont raison », ce qui provoque un tollé. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, s’indigne vendredi sur LCI de voir que « les rats quittent le navire ». Elle est suivie quelques heures plus tard, sur la même chaîne, par Michel-Édouard Leclerc qui dénonce un « chantage ». Ambiance… Au point que Patrick Martin et Bernard Arnault sont tour à tour contraints de rétropédaler : le patron du Medef affirme sur X qu’au contraire « le véritable patriotisme économique est de donner aux entreprises les raisons et les moyens de réussir en France » ; celui de LVMH déclare : « je n’ai jamais dit que nous allions délocaliser le groupe ». Un couac monumental pour le chef d’entreprise le plus riche de France et pour le patron des patrons, pourtant habitués aux exercices de communication. D’où la question : comment ont-ils pu ainsi s’égarer ?
Bernard Arnault a d’abord voulu faire diversion. Mardi, il annonçait une baisse de 17 % du bénéfice net de LVMH en 2024 mais le maintien de son dividende à 13 euros l’action. Sa sortie polémique lui a permis de masquer le cadeau offert à ses actionnaires. Il rentre surtout avec des étoiles dans les yeux de la cérémonie de prise de fonctions de Donald Trump et tance d’autant plus facilement le gouvernement français que son ex-ami Emmanuel Macron n’est plus en première ligne.
L’accession à la Maison Blanche d’un libéral forcené fait souffler sur l’économie mondiale un vent d’optimisme qui place les Etats-Unis en tête et laisse l’Europe à la traîne. Certes, les salaires sont plus élevés Outre-Atlantique qu’en France – ils servent aussi à payer la santé et le chômage que l’Etat prend en charge dans notre pays – mais les conditions fiscales et de production y sont plus favorables et, surtout, la croissance du marché y est beaucoup plus dynamique. Une aubaine pour rebondir alors que des rumeurs courent sur le passage à vide de deux grosses filiales de LVMH, Dior et Tiffany.
Pourtant, LVMH a bénéficié de son exposition médiatique tout au long des Jeux Olympiques et les entreprises du CAC 40 – auquel appartient le groupe de luxe, qui a multiplié par trois en dix ans sa capitalisation boursière – ont enregistré des profits record, largement redistribués aux actionnaires et fort peu aux salariés. Un dessin sarcastique circule où l’on voit le « pauvre » Bernard Arnault tendre sa sébile aux passants de la rue.
Quant à Patrick Martin, il avait lancé en septembre : « nous sommes prêts à discuter d’une hausse d’impôt des entreprises », acceptant au nom de l’effort collectif une surtaxation des profits des groupes de plus d’1 milliard d’euros de chiffre d’affaires avec un seuil supplémentaire au-delà des 3 milliards d’euros, soit 440 entreprises françaises. « Provisoire », l’effort durerait deux ans, délai que le gouvernement Bayrou a ramené à un an par esprit de conciliation.
Pourquoi le président du Medef refuse-t-il aujourd’hui, ce qu’il avait accepté hier ? demande avec justesse Eric Lombard sur TF1. La sensibilité de gauche du ministre de l’Économie inquiète les grands patrons, notamment ceux d’Air France, de Total, de Dassault et de Michelin. Ami de Laurent Berger et d’Olivier Faure, Lombard a mené les négociations avec la gauche et a accepté l’ouverture prochaine d’une grande conférence sociale qui doit remettre sur le métier la réforme décriée des retraites et se pencher sur une éventuelle augmentation du SMIC. Un cauchemar pour les grands patrons qui se sont tant enrichis pendant l’ère Macron et accumulé une telle trésorerie qu’ils en étaient à racheter leurs propres actions pour renchérir le cours de bourse. Pendant ce temps, ils n’ont ni investi ni augmenté les salaires de leurs employés. Sans production industrielle ni hausse du pouvoir d’achat, la croissance française a été stoppée, ce qui a tari les recettes de l’État et fait repartir le chômage à la hausse. Drôle de moment pour menacer d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Pendant ce temps, les extrêmes continuent de progresser…