Haro sur Cazeneuve

par Laurent Joffrin |  publié le 01/09/2024

La gauche radicale mène depuis plusieurs jours une honteuse campagne contre l’ancien Premier ministre. C’est parce qu’elle le craint.

Laurent Joffrin

Enfer et damnation ! Bernard Cazeneuve a une chance d’être nommé à Matignon. Abomination de la désolation ! Il pourrait même réussir dans sa nouvelle fonction. Tel est l’état d’esprit des caciques du Nouveau Front Populaire depuis que circule le nom de l’ancien Premier ministre pour prendre la tête d’un gouvernement minoritaire.

Rien ne prouve en fait, qu’Emmanuel Macron se dispose à procéder à cette nomination. Il reçoit ce matin l’intéressé, mais aussi les deux anciens présidents, François Hollande et Nicolas Sarkozy, puis, dans l’après-midi, Xavier Bertrand. Hollande soutiendra son ancien Premier ministre, Sarkozy plaidera pour une coalition entre le centre et la droite. Entre ces deux orientations, ou bien une troisième qui consisterait à choisir un chef de gouvernement non-directement politique, nul ne sait ce que le président s’apprête à décider.

Mais la simple hypothèse Cazeneuve a mis en transes les prophètes de la radicalité. LFI dénonce à l’avance et par principe toute personne qui s’écarterait un tant soit peu de ses oukases, considérant que tout contradicteur à gauche se désigne ipso facto comme un traître, ce qui est le propre de toutes les sectes. Les écologistes haïssent franchement l’ancien Premier ministre et maire de Cherbourg, pronucléaire sans ambages, républicain de stricte obédience et donc anti-communautaire, et lui imputent de manière scandaleuse la mort tragique du jeune Rémi Fraisse, alors même que l’enquête judiciaire consécutive à l’affaire a débouché sur un non-lieu, confirmé en appel et en cassation. Mais qu’est-ce qu’une décision de justice quand il s’agit de discréditer un adversaire politique ?

Quant au PS, il est à peine plus aimable envers un homme qui l’a fidèlement servi pendant plus de vingt ans et envers tous ceux qui sont sur une ligne proche. En pleine université d’été de son parti, Olivier Faure a laissé huer sans réagir Cazeneuve et le maire de Saint-Ouen Karim Bouamrane, désignés de manière parfaitement sectaire par Clémentine Autain à la vindicte préventive de la base pro-NUPES parce que l’un ou l’autre pourraient être désignés en lieu et place de Lucie Castets. Drôle de manière de défendre ses camarades ou anciens camarades…

Cette hostilité pavlovienne a une origine : par son parcours, par sa personnalité, Cazeneuve à la tête d’une équipe de centre-gauche pourrait obtenir la neutralité des députés socialistes et celle de la droite qui respecte ses compétences et donc gouverner sans attirer la foudre d’une motion de censure. Bien sûr, s’il s’agit de proroger la politique Macron, l’aventure tournera court et, de manière justifiée, sera rejetée par le PS unanime. Mais si Cazeneuve réussit à mener une réelle politique de centre-gauche, incomplète certes, mais bien distincte de celle mise en oeuvre jusqu’à présent, il peut gagner de la popularité, survivre aux oppositions croisées, et offrir au pays des résultats à court terme et un espoir à moyen terme. Même si l’hypothèse est ténue, malaisée, semée d’embûches, c’est bien ce que redoutent les sectateurs de « la vraie gauche ». Les grands-prêtres de la radicalité ont toujours préféré la droite conservatrice à la gauche réformiste.

Laurent Joffrin