Hubert Védrine : « Trump ne veut pas entrer en guerre »
C’est d’abord pour des raisons américaines et de leadership que le président américain a attaqué l’Iran, estime l’ancien ministre des Affaires étrangères. Pour ne pas donner un signal de faiblesse. Comme si la démonstration de force spectaculaire suffisait à neutraliser la menace nucléaire iranienne.
Le vrai vainqueur de l’attaque sur l’Iran est Benyamin Netanyahou ?
C’est trop tôt pour le dire. Cela aurait été très étonnant que Benyamin Netanyahou ne profite pas d’un alignement de planètes aussi favorable. En réalité, il n’y avait pas de risque nucléaire imminent. Mais depuis quinze ans, Netanyahou revendique deux objectifs : éliminer la menace nucléaire iranienne et empêcher qu’il y ait un état palestinien. Il n’allait pas rater l’occasion qui se présentait d’autant qu’en attaquant l’Iran, il était sûr d’être soutenu par l’opinion israélienne, même par ceux qui le détestent et qui condamnent sa politique à Gaza. D’une part, il torpillait les tentatives de négociation de Trump avec l’Iran. Et de l’autre, il obligeait l’Arabie Saoudite et la France à reporter leur initiative en faveur d’un Etat Palestinien.
Quel est le bilan exact de l’offensive ?
Pour l’instant, on n’en sait rien. Mais à minima, un report très durable du risque nucléaire militaire iranien.
Pourquoi Donald Trump s’est-il engagé ?
Il n’était pas évident que Donald Trump s’engage. On a vu ces dernières semaines, contrairement aux démocrates américains et à la plupart des européens, qu’il n’est pas intimidable par Benyamin Netanyahou.
Je pense que si, finalement, il a décidé de frapper, c’est d’abord pour des raisons américaines et de leadership. Les États-Unis n’ont JAMAIS pardonné au régime iranien la prise d’otages de leur ambassade en 1979. Ensuite, ne pas frapper, après avoir autant communiqué sur le bombardier B2, aurait été un signal de faiblesse américaine aux yeux des Chinois et des autres. D’où la démonstration de force spectaculaire, quel que soit le résultat exact.
Mais je ne crois pas que Donald Trump veuille entrer en guerre. C’est l’un de ses seuls points fixes : il a toujours condamné la volonté des démocrates et des néo-conservateurs d’intervenir sans arrêt pour des raisons stratégiques toujours confuses, comme pour exporter la démocratie. Ce n’est pas son truc.
D’où ses rodomontades actuelles dont on ne sait pas ce qu’elles veulent nous dire sur les perspectives d’un accord sur le nucléaire. Donc, il ne s’est pas fondamentalement contredit.
Y a-t-il un risque d’escalade ?
Je ne crois pas à une escalade dont l’Iran n’a pas les moyens. Je ne crois pas que Téhéran prendra le risque de bloquer le détroit d’Ormuz. Cela déclencherait une bataille que les mollahs perdraient.
Personne ne sait si le régime iranien va survivre à ce choc. Mais tous les connaisseurs de l’Iran pensent que s’il finit par s’effondrer, ce sera suivi par une longue période de chaos, si ce n’est de guerre civile.
En quoi cela rebat-il les cartes au Proche-Orient ?
Pas sûr que cela change tout, même si c’est spectaculaire. Déjà, avant l’offensive, la suprématie israélienne était évidente. Les accords d’Abraham avec cinq pays (Israël, Émirats, Bahrein, Soudan, Maroc) qui sont une coalition anti-iranienne, avaient reconfiguré la situation. Au risque de surprendre, je ne pense pas que l’attaque sur l’Iran bouleverse à nouveau la configuration régionale, sauf s’il devait y avoir une avancée majeure sur le vrai sujet, à l’origine de tout qui est le non-règlement de la question palestinienne.
Benyamin Netanyahou est dans une position historique. Il pourrait se métamorphoser en un vrai grand homme s’il revenait à la stratégie courageuse d’Itzhak Rabin, qui est d’accepter un compromis territorial et donc un petit état palestinien. Mais le problème est connu : il a consacré toute sa vie politique à ce qu’il n’y en ait jamais. Netanyahou est l’anti-Rabin absolu et ses alliés extrémistes veulent éliminer les Palestiniens comme les Américains ont éliminé les Indiens.
Je rappelle d’ailleurs que Donald Trump admire le président américain Andrew Jackson qui avait déporté à l’ouest du Mississipi tous les Indiens qui vivaient à l’Est.
L’autre hypothèse est que Donald Trump veuille relancer les accords d’Abraham. Or il a besoin pour cela de convaincre l’Arabie Saoudite de s’y engager enfin. Les dirigeants arabes sont certes indifférents au sort des Palestiniens mais je ne crois pas que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) puisse prendre ce risque s’il n’obtient pas quelque chose pour les Palestiniens. Il n’avait rien demandé avant le 7 octobre mais la situation a changé. Il pourrait peut-être faire comprendre à Donald Trump qu’il faudrait remettre dans le jeu une autorité palestinienne entièrement nouvelle. Ce qui est encore plus important que la question iranienne.
Pendant ce temps, l’Ukraine est livrée aux Russes…
L’Ukraine n’est pas plus livrée aux Russes qu’avant mais l’Ukraine n’est pas plus en état qu’avant de reconquérir les territoires occupés par la Russie. La question reste la même : Trump va-t-il imposer un gel du conflit dans conditions mauvaises ou très mauvaises pour l’Ukraine ? Cela dépend en partie de la capacité ultérieure des Européens de l’alliance, et quand même des États-Unis, à transformer l’Europe en une sorte de porc-épic qui dissuaderait toute nouvelle agression.
Le sommet de l’OTAN aurait pu être pire pour l’Ukraine. Concernant l’affirmation des Européens, ce fut un coup pour rien. Les alliés ont dû prendre des engagements d’augmentation de leurs dépenses de défense dans la plupart des cas intenables, et de toute façon, aux yeux des Américains, ces budgets supplémentaires doivent servir aux Européens à acheter des armes américaines.
Mais il n’y a pas d’avancée vers la création d’un pilier européen de l’alliance, ce à quoi le président Macron s’était employé de façon louable ses dernières semaines avec les dirigeants allemand, anglais et polonais.
C’est pourtant la voie de l’avenir.
Le droit international est bafoué, la force consacrée, celle d’Israël et des Etats-Unis ?
Je ne veux chagriner personne mais vous auriez du mal à me citer un seul conflit contemporain qui ait été réglé sur la base du droit international. En général, ce sont les vainqueurs qui l’invoquent, après. Sinon, il y aurait un petit État palestinien démilitarisé depuis trente ans. Et Vladimir Poutine n’aurait pas envahi l’Ukraine etc… C’est un principe philosophique incontestable mais c’est plutôt un objectif qu’une réalité.
Cela dit, les dizaines de milliers de personnes dans le monde qui travaillent à la prise en compte du droit international, méritent d’être saluées, car elles contribuent modestement à ce que le monde soit moins cruel. Mais c’est une très longue route.
Quel sera le nouvel ordre géopolitique mondial ?
Pas de cyclone permanent mais mer agitée à très agitée. Les Européens qui se sont fait longtemps des illusions sur la communauté internationale, l’Occident, etc. , sont bien obligés de constater, ce que les autres pays du monde n’avaient jamais oublié, à savoir que les rapports de force déterminent tout, comme le sommet de l’OTAN vient de le redémontrer.
Et que les États-Unis restent une hyper-puissance surtout pour leurs voisins, les Européens, et tous ceux qui dépendent d’eux, est une évidence. Il faut intégrer tout cela, examiner comment, domaine par domaine, agir quand même avec Donald Trump, ou sans lui, voire contre lui (sur la transition écologique).
Il n’y a donc pas de miracle. S’ils veulent peser un jour, les Européens doivent révolutionner leur mentalité et se redresser.
Propos recueillis par Valérie Lecasble