IA : le grand défi d’EDF
Les stars de l’IA sont séduites par l’énergie décarbonée d’Électricité de France. La compagnie nationale sera-t-elle à la hauteur ?
Avec l’intelligence artificielle, le concept de sobriété énergétique a du plomb dans l’aile. Rappelons qu’une recherche sur ChatGPT consommerait dix fois plus d’énergie qu’une requête sur un moteur de recherche classique… alors que d’ores et déjà, le numérique est à l’origine de 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit deux fois plus que le transport aérien. Or, la France, par la voix de son gestionnaire de réseau électrique RTE, se flatte d’avoir produit 95% d’électricité décarbonée l’an dernier grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables. Ce cocktail vertueux attire les acteurs du numérique qui projettent de créer 35 sites de data centers dans l’hexagone, pour blanchir l’IA de toute accusation d’accroître le dérèglement climatique.
La production d’EDF pourra-t-elle s’adapter à la hausse de demande ? Un seul de ces data centers absorberait autant d’énergie que la ville de Bordeaux. A Marseille, les craintes d’un conflit d’usage ont déjà émergé. L’entreprise, qui a enregistré l’an dernier un record d’exportation, assure pouvoir répondre à la demande. Elle propose même d’ouvrir ses emprises foncières à des centres de données pour qu’ils s’installent au plus près des lieux de production. Oubliés, les problèmes de corrosion qui avaient obligé EDF à mettre à l’arrêt un grand nombre de réacteurs, et à importer de l’électricité pour répondre à la consommation nationale. Balayée, la crainte de nouveaux aléas ?
L’ambition d’atteindre la neutralité carbone est puissante ! La France n’envisage-t-elle pas de construire six nouveaux EPR à l’horizon 2035, et huit autres ensuite ? La Cour des Comptes modère l’enthousiasme. Dans un rapport remis le mois dernier, elle rappelle que l’EPR de Flamanville commence seulement à être opérationnel, après un retard de douze ans sur le programme, et a coûté sept fois plus cher que prévu (23 milliards d’euros). Les aléas sont massifs. Elle juge également que la maturité technique du projet EPR2 est à ce stade « insuffisante », à cause de retards dans la conception des nouveaux réacteurs, de l’inconnue sur leur coût et de l’absence de financement du programme. En clair, EDF sera-t-elle au rendez-vous? On peut y ajouter les défis liés à l’électrification du parc automobile, les problèmes de retard et de doublement des coûts rencontrés en Grande-Bretagne sur le chantier d’Hinkley Point ou le poids de la dette qui bride l’entreprise dans ses projets de petites centrales…
Le défi concerne aussi RTE qui, pour faire face à un doublement du transport d’électricité avant 2040, va devoir adapter 40% de son réseau. Le chantier est titanesque, d’une valeur de 94 milliards d’euros pour remplacer, entre autres, 23.500 km de lignes à haute tension.
La France n’est qu’un élément du puzzle qui se met en place, des États-Unis à la Chine en passant par l’Europe. Les immenses besoins en énergie des data centers sont-ils compatibles avec transition énergétique ? Partout dans le monde, les acteurs de l’IA courent après le nucléaire. Aux États-Unis, par exemple, Microsoft va relancer l’activité d’une unité de la centrale de Three Mile Island. Mais l’énergie fossile sera également sollicitée. Le projet Stargate présenté par le climatosceptique Donald Trump, parallèlement à sa volonté d’accroître la production de pétrole américaine, tourne le dos à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Poisson pilote de l’Europe dans la course à l’IA, la France possède des atouts avec son énergie décarbonée. Mais le projet s’inscrit dans une vision à très long terme qui laisse encore bien des questions sans réponses.