IA : où est l’intelligence politique ?
Paris met en scène ses progrès dans l’intelligence artificielle, mais si l’Europe n’a pas l’intelligence de faire bloc face aux États-Unis et à la Chine, elle risque l’effacement.
Pour relever le défi de l’intelligence artificielle, l’Europe saura-t-elle éviter l’écueil du chacun pour soi ? Dans l’industrie d’armement, la multiplication des programmes concurrents l’a déjà empêchée d’atteindre les économies d’échelle nécessaires dans la compétition internationale. Ce qui a entraîné une dépendance qui la fragilise. Nouvelle épreuve : rester dans la course aux technologies numériques. Le Sommet organisé par la France les 10 et 11 février aurait grand tort de négliger un facteur essentiel : sans coopération européenne, aucune chance de succès. Les tombereaux de milliards de dollars déversés dans l’IA par la Chine et les Etats-Unis laisseront l’Union loin derrière, alors que ces investissements sont la clé de sa souveraineté et de sa croissance.
La France revendique la place de leader européen de l’IA générative et se targue d’être la cinquième puissance mondiale pour l’infrastructure et l’environnement opérationnel. Elle met en avant l’enveloppe de 2,5 milliards d’euros dégagée dans le cadre du programme France 2030 (doté de 54 milliards sur cinq ans, mais amputé de 2,5 milliards dans le budget 2025), et à laquelle auront accès notamment neuf clusters spécialisés répartis sur le territoire national. Divers programmes d’équipements prioritaires et de recherche doivent structurer les communautés chargées de faire émerger des technologies de rupture, et appuyer la création de start-up dans l’IA, déjà au nombre d’un millier dans l’hexagone. Tout un écosystème est déjà installé à l’initiative des pouvoirs publics pour inciter d’autres investisseurs à s’engager, à l’image des Émirats arabes unis qui ont annoncé un investissement à terme de 30 à 50 milliards d’euros pour créer un campus autour de l’IA doté d’un data center géant.
Mais l’enjeu n’est pas que franco-français. La compétition mondiale est lancée : le ticket d’entrée dépasse les moyens d’un pays comme la France, dont les marges de manoeuvre financières sont limitées par sa dette publique. Une seule solution : la construction d’une souveraineté numérique européenne. Dans la guerre économique exacerbée dont l’IA sera une pièce maîtresse, c’est la seule voie possible. Certes, la France et l’Allemagne ont entamé des rapprochements mais le temps est compté. « Alors que l’élection de Donald Trump marque une nouvelle étape dans la guerre commerciale et technologique entre la Chine et les États-Unis, l’Europe est confrontée au risque de l’effacement », alerte la Fondation Jean Jaurès. Or, si l’UE est en pointe dans le monde sur la protection de données et la régulation des grandes plateformes, son marché est encore trop fragmenté.
Un tournant stratégique vient d’être opéré fin janvier par la Commission européenne avec la présentation de sa « boussole de compétitivité ». Ce plan prévoit notamment la mobilisation de financements européens et restaure une approche industrielle communautaire alors que, depuis une quarantaine d’années, le dogme de la concurrence prévalait. L’IA est au coeur de ce revirement. Le nouveau cap ainsi défini est de nature à orienter les divers travaux du Sommet pour l’action sur l’IA, en offrant un horizon concret à leur réalisation. Gageons toutefois que les Etats-Unis tenteront d’empêcher la maturation d’une Europe de l’IA, comme ils y sont parvenus dans les communications en vendant à l’Italie leur système satellitaire Starlink.